A l’initiative de la députée Rist, une
proposition de loi (PPL) a été déposée à l’assemblée nationale
intitulée « portant amélioration de l’accès aux soins par la
confiance aux professionnels de santé ».
En fait de confiance, cette PPL pose des pions pour uberiser les soignants et renvoyer la responsabilité de l’organisation des soins à l’initiative individuelle des malades et de leurs familles en aggravant les inégalités dans l’accès aux soins.
Cette PPL a pour but de préciser le cadre des pratiques avancées des infirmiers et de permettre le recours à des infirmiers, kinésithérapeutes et orthophonistes sans prescription médicale. Elle fait suite à un rapport de l’IGAS de novembre 2021 intitulé « Trajectoires pour de nouveaux partages de compétences entre professionnels de santé ». Dans ses premières pages, ce rapport plante le décor en évoquant les « caractéristiques du système libéral qui freinent le développement des coopérations » contrairement à d’autres pays comme la Grande Bretagne, l’Espagne ou des pays scandinaves. Qu’à cela ne tienne ! La suite du rapport analyse les mesures à prendre pour faire rentrer dans le cadre libéral les pratiques avancées !
Dans la suite de cette note, ce sera surtout les pratiques avancées des infirmières qui seront étudiées. On analysera successivement les motivations, le cadre actuel de la pratique avancée, avant de discuter cette PPL pour terminer sur les vraies propositions.
En fait de confiance, cette PPL pose des pions pour uberiser les soignants et renvoyer la responsabilité de l’organisation des soins à l’initiative individuelle des malades et de leurs familles en aggravant les inégalités dans l’accès aux soins.
Cette PPL a pour but de préciser le cadre des pratiques avancées des infirmiers et de permettre le recours à des infirmiers, kinésithérapeutes et orthophonistes sans prescription médicale. Elle fait suite à un rapport de l’IGAS de novembre 2021 intitulé « Trajectoires pour de nouveaux partages de compétences entre professionnels de santé ». Dans ses premières pages, ce rapport plante le décor en évoquant les « caractéristiques du système libéral qui freinent le développement des coopérations » contrairement à d’autres pays comme la Grande Bretagne, l’Espagne ou des pays scandinaves. Qu’à cela ne tienne ! La suite du rapport analyse les mesures à prendre pour faire rentrer dans le cadre libéral les pratiques avancées !
Dans la suite de cette note, ce sera surtout les pratiques avancées des infirmières qui seront étudiées. On analysera successivement les motivations, le cadre actuel de la pratique avancée, avant de discuter cette PPL pour terminer sur les vraies propositions.
I Les motivations de cette proposition de
loi sont fort justes, mais les mesures proposées ne répondent
pas aux problèmes posés.
Il est évident que la pénurie de médecins ne se résoudra pas dans les cinq ans à venir et que tout ce qui peut leur permettre de se consacrer à leur cœur de métier est essentiel pour assurer une prise en charge de qualité de la population du pays. Mais l’urgence actuelle ne doit ni conduire à des situations dégradées, ni faire oublier que si l’on n’augmente pas tout de suite le nombre de médecins en formation, dans dix ans la situation sera pire du fait de l’augmentation de la population, de son vieillissement et des progrès médicaux. La transformation du numerus clausus en numerus apertus n’est pas suffisante pour l’avenir dans la forme actuelle de sélection malthusienne persistante.
La confiance dans les professionnels de santé ne peut se traduire uniquement en ouvrant à un accès direct la consultation de certains « en pratique avancée » !
La reconnaissance du travail des soignants, c’est la possibilité de promotion professionnelle de fait, mais c’est aussi une revalorisation de leurs salaires (beaucoup de salariés bac+3 dans le secteur privé gagnent plus qu’une infirmière ; les métiers du soin restent pénalisés par la féminisation historique) et une transformation de leurs conditions de travail en adaptant la gestion de la santé à la satisfaction des besoins et non à la rentabilité et donc en écoutant les soignants et leurs organisations syndicales.
Sans revalorisation des salaires et transformation de la gestion le reste est vain. Actuellement, les soignants recherchent plus une reconversion professionnelle dans d’autres domaines qu’une promotion !
Notons au passage que le rapport de l’IGAS proposait des solutions pour sortir de l’impasse où sont les infirmiers anesthésistes, afin de, sans changer leurs attributions, les reconnaître au même niveau que les infirmiers en pratique avancée puisqu’ils ont aussi un bac+5. La proposition de loi l’ignore. Les enjeux de masse salariale sont sans doute trop forts !
II Le cadre actuel de la pratique avancée
a) Différentes méthodes pour élargir les compétences des infirmières.
La problématique ne date pas d’aujourd’hui. Le dispositif ASALEE a été mis en place à partir de 2004 avec des infirmières contribuant en lien avec les médecins à la prise en charge de malades chroniques, en particulier pour leur éducation thérapeutique.
La loi HPST de 2009 a créé les protocoles de coopération. Le principe est est exposé dans l’article L4011-1 du code de la santé : « Par dérogation aux articles [définissant les conditions d'exercice légal et illégal des différentes professions de santé], les professionnels de santé peuvent s'engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet d'opérer entre eux des transferts d'activités ou d'actes de soins ou de réorganiser leurs modes d'intervention auprès du patient. ». Des modifications législatives successives ont facilité le développement de ces protocoles de coopération, la dernière en date étant la première loi « RIST » avec l’extension des protocoles locaux aux équipes coordonnées et aux établissements médico-sociaux.
Le cadre juridique de la pratique avancée a été posé par la loi Touraine de 2016. Reconnaissons lui le mérite d’allier à la formation (déjà sous entendu dans les dispositifs précédents) une qualification reconnue !
Le décret d’application de 2018 reconnaît quatre domaines de spécialisation :
○ Pathologies chroniques stabilisées ; prévention et poly-pathologies courantes en soins primaires
○ Oncologie et hémato-oncologie ;
○ Maladie rénale chronique ;
○ Psychiatrie.
Un 5ème champ d’intervention a été autorisé par un décret de 2021 : les urgences.
b) Qu’est ce qu’une structure de soins coordonnées ?
Cette expression revient constamment. Elle est indiquée dans la proposition de loi comme condition pour l’accès direct : ce peut être une véritable équipe, un centre de santé, le simple partage de locaux et de services communs comme une maison de santé ou une simple CPTS (communauté professionnelle de territoire) dont le territoire peut être très étendus et les liens entre les différents professionnels fort lâches !
III Éléments de discussion.
Plusieurs études ont confirmé l’intérêt du dispositif ASALEE, le plus ancien, le seul donc véritablement évaluable. Consacrer plus de temps aux patients dans une approche globale s’avère positif ! Dans le cadre actuel de pénurie de temps médical, cela montre l’intérêt de confier des taches nouvelles à d’autres professionnels, tout en élargissant la qualité de la prise en charge : il ne s’agit pas de faire le travail du médecin, mais d’un nouveau métier assurant une prise en charge plus globale, faisant ce que le médecin ne fait pas ou mal, car ce n’est pas le coeur de son métier ou si simple à régler qu’il fait au plus vite, au détriment de l’humain.
Avoir donné un titre universitaire aux infirmiers en pratique avancée (IPA) est une réelle avancée, et sans doute faudrait il trouver un nom témoignant mieux de cette qualification dans un nouveau métier. Cela peut leur permettre d’affirmer leur autonomie dont ils.elles ont besoin pour répondre à la complexité des situations auxquelles ils ont à faire face, l’humain ne rentrant pas dans des protocoles (ceci n’étant évidemment pas en contradiction avec le respect des pratiques professionnelles). La possibilité de prescrire va avec cette autonomie, une autonomie qui ne peut se concevoir que dans le cadre d’une équipe professionnelle (voir ci-dessous).
Une remarque annexe sur la prescription des arrêts de travail. Il n’est pas possible de ne pas faire le lien entre la volonté de la CNAM de dérembourser les arrêts de travail en téléconsultation (d’ailleurs un élément du PLFSS 2023 annulé par le conseil constitutionnel), la revendication portée par certains groupes de médecins de ne plus avoir à signer d’arrêts de travail, la réintroduction d’un délai de carence dans la fonction publique en 2018 … Il ne faudrait pas que l’on en arrive à des arrêts de travail de courte durée pouvant être signés par des IPA reconnus comme simplement attestant que la personne n’est pas en abandon de poste, mais ne donnant pas droit à indemnités !
A côté de la possibilité de prescrire, la PPL comporte une autre mesure : l’accès direct, sans prescription médicale. Notons d’emblée que cela ne concerne évidemment pas les IPA spécialisé.e.s (avant d’aller voir une IPA de cancéro, sans doute faut il avoir le diagnostic !) mais ces nouveaux IPA « praticiens » que créerait cette PPL et sans doute aussi les IPA spécialisés en psychiatrie. Et la critique qui va suivre ne porte évidemment pas sur l’exercice en établissement : un papier à signer en moins pour le médecin est autant de gagner !
L’accès direct, sans prescription médicale, en pratique ambulatoire libérale, est en fait un rejet de responsabilité vers la population, une responsabilité qu’elle n’a pas à assumer, celle de savoir si la maladie qui l’amène à consulter est du ressort d’un IPA ou d’un médecin, ou même d’un psychologue si on parle santé mentale.
Ce n’est pas sa responsabilité pour des raisons multiples, déjà parce qu’elle n’est pas formée à cela, et le serait-elle, la relation affective à sa maladie ou à celle de ses proches peut perturber l’appréciation. Mais aussi parce que des raisons matérielles vont se surajouter à l’appréciation de la gravité : la proximité du soignant, le délai d’attente, la somme à débourser ….
La seule réponse de la PPL à ces arguments est l’obligation pour le soignant d’appartenir à un réseau de soins coordonnés.
De fait, là où existe une véritable équipe au service des usagers, sans risque de conflits d’intérêts financiers, c’est à dire dans les établissements publics de santé et dans les centres de santé, peu importe que la première personne consultée soit infirmier ou médecin : l’équipe est là pour compléter la prise en charge si besoin.
Il en est tout autrement quand les liens dans le réseau sont très lâches et que ce surajoute des enjeux financiers. Car ces enjeux, en lien avec le paiement à l’acte en libéral, faussent tout, y compris d’ailleurs le regard porté sur les réticences des médecins à cette PPL, accusés de corporatisme : de fait certains arguments sont purement d’intérêts financiers et véritablement corporatistes. Mais d’autres sont plus scientifiques et méritent attention : une affection d’apparence simple peut cacher une maladie grave.
La déconstruction du système de santé dans les quarante dernières années a appris à interpréter les volontés cachées derrière des textes de loi d’apparence anodine. Le nouveau rapport Libault, dans un domaine proche, celui de l’autonomie, donne des pistes sur le système de santé que les forces capitalistes libérales voudraient construire dans notre pays. En effet, il nous présente un service public territorial de l’autonomie, se résumant en fait à un service informatique mettant en lien les différents personnels travaillant dans le domaine de l’autonomie. La volonté des libéraux au pouvoir est vraisemblablement, sous couvert de faciliter l’accès aux soins, la mise en place de plateformes que la population pourrait interroger en fonction de ses besoins, pour trouver, non pas un chauffeur uber, mais un professionnel de santé, infirmier, médecin, kiné, dentiste … en présentiel ou en téléconsultation. La plateforme pourrait être portée, selon les territoires, ou les publics auxquels elle s’adresse, par une complémentaire santé ou un groupe type Ramsay qui développe des centres de santé, qui n’en ont que le nom, pas le contenu ! Cette plateforme pourrait évidemment être reconnue comme réseau de soins coordonnés, sans véritable garantie, ni pour les usagers, ni pour les professionnels !
IV Des propositions.
Affirmons d’emblée que les professionnels de santé, en particulier les infirmiers, sont capables de promotion professionnelle, d’étendre leurs compétences et d’avoir de nouvelles attributions. Cela est nécessaire, dans l’immédiat pour pallier le déficit en temps médical et à l’avenir pour permettre des prises en charges plus globales de meilleure qualité.
Cela ne prend son véritable sens que dans un travail d’équipe, sans conflits d’intérêts financiers, c’est à dire dans un service public ou privé mais sans but lucratif.
a) La première proposition est donc la création d’un service public de soins de premier recours par l’État.
Historiquement, les centres de santé ont été créés par des communes ou par des mutuelles. L’aspiration des jeunes professionnels au salariat, à pouvoir se consacrer à leur métier, à être libéré de la gestion concomitante de l’entreprise qu’est en fait le cabinet médical, jointe à la désertification médicale d’une grande partie de notre territoire, conduit à un nouveau développement de centres de santé par les départements ou les régions sous une forme décentralisée permettant des interventions dans les territoires les plus en difficulté tandis que d’autres expériences visent à l’autogestion par les professionnels en lien avec la population du secteur.
Ceci témoigne du côté novateur d’une telle réponse aux besoins, mais laisse entières les inégalités territoriales.
Il est donc de la responsabilité de l’État d’impulser dans chaque territoire la création d'un centre de santé afin d’assurer la présence égalitaire d’un service public de premier recours, en lien avec les collectivités territoriales, les CPAM (et il faudrait revenir à des élections de leurs administrateurs) géré démocratiquement avec une participation active des professionnels et des usagers.
b) La deuxième proposition est de multiplier les possibilités de promotion professionnelle pour les soignants : la liste actuelle des pratiques professionnelles avancées ne peut rester aussi limitée. L’acquisition d’un grade de master pourrait aussi être associé à d’autres évolutions professionnelles, dans la prévention par exemple, mais il faudrait aussi permettre le développement de passerelles vers les études médicales. D’ailleurs, il faudrait à nouveau ouvrir la possibilité pour les médecins de changement de spécialité en cours de carrière.
Pour être concrète cette proposition nécessite des travaux sur les formations et les titres, des moyens pour les universités et des financements de revenus pendant les formations !
c) D’autres propositions plus générales.
Comme dit en introduction il faut former massivement des soignants, médecins et non médecins, avec un revenu pendant les études, pour assurer la démocratisation des études, éviter les abandons en cours du fait de la nécessité de recourir parallèlement à un travail salarié.
Il faut reconnaître aussi le travail des soignants par une amélioration de leurs salaires et par la transformation de leurs conditions de travail en lien avec une gestion de la santé tournée vers la satisfaction des besoins de la population et non la rentabilité des soins. Il s'agit en fait d'appliquer à la santé un autre projet de société !
Il est évident que la pénurie de médecins ne se résoudra pas dans les cinq ans à venir et que tout ce qui peut leur permettre de se consacrer à leur cœur de métier est essentiel pour assurer une prise en charge de qualité de la population du pays. Mais l’urgence actuelle ne doit ni conduire à des situations dégradées, ni faire oublier que si l’on n’augmente pas tout de suite le nombre de médecins en formation, dans dix ans la situation sera pire du fait de l’augmentation de la population, de son vieillissement et des progrès médicaux. La transformation du numerus clausus en numerus apertus n’est pas suffisante pour l’avenir dans la forme actuelle de sélection malthusienne persistante.
La confiance dans les professionnels de santé ne peut se traduire uniquement en ouvrant à un accès direct la consultation de certains « en pratique avancée » !
La reconnaissance du travail des soignants, c’est la possibilité de promotion professionnelle de fait, mais c’est aussi une revalorisation de leurs salaires (beaucoup de salariés bac+3 dans le secteur privé gagnent plus qu’une infirmière ; les métiers du soin restent pénalisés par la féminisation historique) et une transformation de leurs conditions de travail en adaptant la gestion de la santé à la satisfaction des besoins et non à la rentabilité et donc en écoutant les soignants et leurs organisations syndicales.
Sans revalorisation des salaires et transformation de la gestion le reste est vain. Actuellement, les soignants recherchent plus une reconversion professionnelle dans d’autres domaines qu’une promotion !
Notons au passage que le rapport de l’IGAS proposait des solutions pour sortir de l’impasse où sont les infirmiers anesthésistes, afin de, sans changer leurs attributions, les reconnaître au même niveau que les infirmiers en pratique avancée puisqu’ils ont aussi un bac+5. La proposition de loi l’ignore. Les enjeux de masse salariale sont sans doute trop forts !
II Le cadre actuel de la pratique avancée
a) Différentes méthodes pour élargir les compétences des infirmières.
La problématique ne date pas d’aujourd’hui. Le dispositif ASALEE a été mis en place à partir de 2004 avec des infirmières contribuant en lien avec les médecins à la prise en charge de malades chroniques, en particulier pour leur éducation thérapeutique.
La loi HPST de 2009 a créé les protocoles de coopération. Le principe est est exposé dans l’article L4011-1 du code de la santé : « Par dérogation aux articles [définissant les conditions d'exercice légal et illégal des différentes professions de santé], les professionnels de santé peuvent s'engager, à leur initiative, dans une démarche de coopération ayant pour objet d'opérer entre eux des transferts d'activités ou d'actes de soins ou de réorganiser leurs modes d'intervention auprès du patient. ». Des modifications législatives successives ont facilité le développement de ces protocoles de coopération, la dernière en date étant la première loi « RIST » avec l’extension des protocoles locaux aux équipes coordonnées et aux établissements médico-sociaux.
Le cadre juridique de la pratique avancée a été posé par la loi Touraine de 2016. Reconnaissons lui le mérite d’allier à la formation (déjà sous entendu dans les dispositifs précédents) une qualification reconnue !
Le décret d’application de 2018 reconnaît quatre domaines de spécialisation :
○ Pathologies chroniques stabilisées ; prévention et poly-pathologies courantes en soins primaires
○ Oncologie et hémato-oncologie ;
○ Maladie rénale chronique ;
○ Psychiatrie.
Un 5ème champ d’intervention a été autorisé par un décret de 2021 : les urgences.
b) Qu’est ce qu’une structure de soins coordonnées ?
Cette expression revient constamment. Elle est indiquée dans la proposition de loi comme condition pour l’accès direct : ce peut être une véritable équipe, un centre de santé, le simple partage de locaux et de services communs comme une maison de santé ou une simple CPTS (communauté professionnelle de territoire) dont le territoire peut être très étendus et les liens entre les différents professionnels fort lâches !
III Éléments de discussion.
Plusieurs études ont confirmé l’intérêt du dispositif ASALEE, le plus ancien, le seul donc véritablement évaluable. Consacrer plus de temps aux patients dans une approche globale s’avère positif ! Dans le cadre actuel de pénurie de temps médical, cela montre l’intérêt de confier des taches nouvelles à d’autres professionnels, tout en élargissant la qualité de la prise en charge : il ne s’agit pas de faire le travail du médecin, mais d’un nouveau métier assurant une prise en charge plus globale, faisant ce que le médecin ne fait pas ou mal, car ce n’est pas le coeur de son métier ou si simple à régler qu’il fait au plus vite, au détriment de l’humain.
Avoir donné un titre universitaire aux infirmiers en pratique avancée (IPA) est une réelle avancée, et sans doute faudrait il trouver un nom témoignant mieux de cette qualification dans un nouveau métier. Cela peut leur permettre d’affirmer leur autonomie dont ils.elles ont besoin pour répondre à la complexité des situations auxquelles ils ont à faire face, l’humain ne rentrant pas dans des protocoles (ceci n’étant évidemment pas en contradiction avec le respect des pratiques professionnelles). La possibilité de prescrire va avec cette autonomie, une autonomie qui ne peut se concevoir que dans le cadre d’une équipe professionnelle (voir ci-dessous).
Une remarque annexe sur la prescription des arrêts de travail. Il n’est pas possible de ne pas faire le lien entre la volonté de la CNAM de dérembourser les arrêts de travail en téléconsultation (d’ailleurs un élément du PLFSS 2023 annulé par le conseil constitutionnel), la revendication portée par certains groupes de médecins de ne plus avoir à signer d’arrêts de travail, la réintroduction d’un délai de carence dans la fonction publique en 2018 … Il ne faudrait pas que l’on en arrive à des arrêts de travail de courte durée pouvant être signés par des IPA reconnus comme simplement attestant que la personne n’est pas en abandon de poste, mais ne donnant pas droit à indemnités !
A côté de la possibilité de prescrire, la PPL comporte une autre mesure : l’accès direct, sans prescription médicale. Notons d’emblée que cela ne concerne évidemment pas les IPA spécialisé.e.s (avant d’aller voir une IPA de cancéro, sans doute faut il avoir le diagnostic !) mais ces nouveaux IPA « praticiens » que créerait cette PPL et sans doute aussi les IPA spécialisés en psychiatrie. Et la critique qui va suivre ne porte évidemment pas sur l’exercice en établissement : un papier à signer en moins pour le médecin est autant de gagner !
L’accès direct, sans prescription médicale, en pratique ambulatoire libérale, est en fait un rejet de responsabilité vers la population, une responsabilité qu’elle n’a pas à assumer, celle de savoir si la maladie qui l’amène à consulter est du ressort d’un IPA ou d’un médecin, ou même d’un psychologue si on parle santé mentale.
Ce n’est pas sa responsabilité pour des raisons multiples, déjà parce qu’elle n’est pas formée à cela, et le serait-elle, la relation affective à sa maladie ou à celle de ses proches peut perturber l’appréciation. Mais aussi parce que des raisons matérielles vont se surajouter à l’appréciation de la gravité : la proximité du soignant, le délai d’attente, la somme à débourser ….
La seule réponse de la PPL à ces arguments est l’obligation pour le soignant d’appartenir à un réseau de soins coordonnés.
De fait, là où existe une véritable équipe au service des usagers, sans risque de conflits d’intérêts financiers, c’est à dire dans les établissements publics de santé et dans les centres de santé, peu importe que la première personne consultée soit infirmier ou médecin : l’équipe est là pour compléter la prise en charge si besoin.
Il en est tout autrement quand les liens dans le réseau sont très lâches et que ce surajoute des enjeux financiers. Car ces enjeux, en lien avec le paiement à l’acte en libéral, faussent tout, y compris d’ailleurs le regard porté sur les réticences des médecins à cette PPL, accusés de corporatisme : de fait certains arguments sont purement d’intérêts financiers et véritablement corporatistes. Mais d’autres sont plus scientifiques et méritent attention : une affection d’apparence simple peut cacher une maladie grave.
La déconstruction du système de santé dans les quarante dernières années a appris à interpréter les volontés cachées derrière des textes de loi d’apparence anodine. Le nouveau rapport Libault, dans un domaine proche, celui de l’autonomie, donne des pistes sur le système de santé que les forces capitalistes libérales voudraient construire dans notre pays. En effet, il nous présente un service public territorial de l’autonomie, se résumant en fait à un service informatique mettant en lien les différents personnels travaillant dans le domaine de l’autonomie. La volonté des libéraux au pouvoir est vraisemblablement, sous couvert de faciliter l’accès aux soins, la mise en place de plateformes que la population pourrait interroger en fonction de ses besoins, pour trouver, non pas un chauffeur uber, mais un professionnel de santé, infirmier, médecin, kiné, dentiste … en présentiel ou en téléconsultation. La plateforme pourrait être portée, selon les territoires, ou les publics auxquels elle s’adresse, par une complémentaire santé ou un groupe type Ramsay qui développe des centres de santé, qui n’en ont que le nom, pas le contenu ! Cette plateforme pourrait évidemment être reconnue comme réseau de soins coordonnés, sans véritable garantie, ni pour les usagers, ni pour les professionnels !
IV Des propositions.
Affirmons d’emblée que les professionnels de santé, en particulier les infirmiers, sont capables de promotion professionnelle, d’étendre leurs compétences et d’avoir de nouvelles attributions. Cela est nécessaire, dans l’immédiat pour pallier le déficit en temps médical et à l’avenir pour permettre des prises en charges plus globales de meilleure qualité.
Cela ne prend son véritable sens que dans un travail d’équipe, sans conflits d’intérêts financiers, c’est à dire dans un service public ou privé mais sans but lucratif.
a) La première proposition est donc la création d’un service public de soins de premier recours par l’État.
Historiquement, les centres de santé ont été créés par des communes ou par des mutuelles. L’aspiration des jeunes professionnels au salariat, à pouvoir se consacrer à leur métier, à être libéré de la gestion concomitante de l’entreprise qu’est en fait le cabinet médical, jointe à la désertification médicale d’une grande partie de notre territoire, conduit à un nouveau développement de centres de santé par les départements ou les régions sous une forme décentralisée permettant des interventions dans les territoires les plus en difficulté tandis que d’autres expériences visent à l’autogestion par les professionnels en lien avec la population du secteur.
Ceci témoigne du côté novateur d’une telle réponse aux besoins, mais laisse entières les inégalités territoriales.
Il est donc de la responsabilité de l’État d’impulser dans chaque territoire la création d'un centre de santé afin d’assurer la présence égalitaire d’un service public de premier recours, en lien avec les collectivités territoriales, les CPAM (et il faudrait revenir à des élections de leurs administrateurs) géré démocratiquement avec une participation active des professionnels et des usagers.
b) La deuxième proposition est de multiplier les possibilités de promotion professionnelle pour les soignants : la liste actuelle des pratiques professionnelles avancées ne peut rester aussi limitée. L’acquisition d’un grade de master pourrait aussi être associé à d’autres évolutions professionnelles, dans la prévention par exemple, mais il faudrait aussi permettre le développement de passerelles vers les études médicales. D’ailleurs, il faudrait à nouveau ouvrir la possibilité pour les médecins de changement de spécialité en cours de carrière.
Pour être concrète cette proposition nécessite des travaux sur les formations et les titres, des moyens pour les universités et des financements de revenus pendant les formations !
c) D’autres propositions plus générales.
Comme dit en introduction il faut former massivement des soignants, médecins et non médecins, avec un revenu pendant les études, pour assurer la démocratisation des études, éviter les abandons en cours du fait de la nécessité de recourir parallèlement à un travail salarié.
Il faut reconnaître aussi le travail des soignants par une amélioration de leurs salaires et par la transformation de leurs conditions de travail en lien avec une gestion de la santé tournée vers la satisfaction des besoins de la population et non la rentabilité des soins. Il s'agit en fait d'appliquer à la santé un autre projet de société !