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Rapport Libault : un rapport sur la perte d'autonomie marqué par l'idéologie du grand patronat

Le rapport Libault sur « Grand âge et autonomie » date déjà un peu mais sa lecture nécessite un décryptage qui demande du temps. Il mélange ce que l’auteur a bien voulu retenir de la concertation et un nombre conséquent de propositions (175) au contenu très divers, de la bonne intention à aspect pseudo éthique à des mesures très techniques, à l’occasion intéressantes, en ayant picoré ici et là, pour faire rassembleur, tout en distillant son idéologie, au service du grand patronat.
Vous m'excuserez donc de ne vous livrer que maintenant ces premières réflexions. Suivront ultérieurement une analyse des propositions et une autre vision d'une politique solidaire de la perte d'autonomie.
Ce rapport a officiellement pour but de faire des propositions à la suite de la concertation organisée par le gouvernement sur le grand âge et de préparer des réformes.
Il ne fera pas date dans l’histoire des idées de la protection sociale. Car s'il s’ouvre sur une citation de Pierre Laroque (une allusion à la création de la Sécurité sociale est de bon ton, tout en étant moins engageante en citant un haut fonctionnaire qu’un ministre communiste !) il ne donne pas à voir un projet de société prenant convenablement en charge les vieux, mais reste très conjoncturel dans les propositions, et, pire, ce rapport sue l’idéologie libérale au service du grand patronat :  la perte d’autonomie demanderait des moyens financiers importants pour une bonne prise en charge et en demandera encore plus dans les années à venir. L’avenir est à l’assurance privée car il faut diminuer la dépense publique. Pour l’instant il convient seulement de répondre à l’attente des Françaises et des Français, en communiquant et en faisant payer par les retraité.e.s eux-mêmes une aide aux personnes en perte d’autonomie les plus en difficulté sociale. Le refus de solutions solidaires s'associe à une grande condescendance vis à vis des « petites mains » de la prise en charge de la perte d’autonomie et à une ignorance totale de l’urgence d’un progrès démocratique. Sans doute pour contribuer à la confusion et à l’incertitude sur les suites qui seront données, le dossier de presse met en avant des propositions clés et des priorités dans des ordres différents !

Il faut diminuer les dépenses publiques ! Comme la situation flambe dans beaucoup d’EHPAD et que le gouvernement a besoin de faire quelques concessions, le rapport propose rien moins que de baisser les dépenses de santé et de retraites pour trouver l’argent nécessaire à la prise en charge de la perte d’autonomie. Cela sur une argumentation mensongère : les dépenses de santé et de retraites en France seraient les plus élevées de tous les pays de l’Europe. Mais il s’agit des dépenses publiques, la différence des systèmes sociaux des différents pays européens amenant à ne pas considérer certaines dépenses de protection sociale, en particulier dans le domaine de la retraite, comme des dépenses d’argent public !
Il y a glissement de la solidarité intergénérationnelle à l’équité intergénérationnelle ! De quoi s’agit-il ? Tout simplement de faire payer par les vieux, la perte d’autonomie des vieux en s’appuyant sur des moyennes, cette nouvelle dictature du chiffre permettant de masquer les réalités sociales que l’on ne veut pas voir ! Le niveau de vie moyen des retraités est plus élevé que celui des plus jeunes et il ne faut donc pas organiser de transfert des actifs vers les générations nées dans l’immédiat après-guerre. Cela traduit une totale ignorance sociale - le nombre si important de trop faibles retraites et à l’inverse les hauts salaires de certains - et une totale ignorance économique : la seule source de richesse, c’est le travail ! La vraie question devrait être : quelle part du travail de la population en âge de travailler le pays veut il consacrer aux personnes âgées ? Le génie du système par répartition des retraites, c’est précisément qu’une partie des richesses produites sont prélevées à travers les cotisations vieillesse pour payer les retraites. En poussant à l’extrême l’absence de transferts des actifs vers les plus âgés, il faut arrêter de produire de l’alimentation pour les vieux ! Cette notion d’équité intergénérationnelle n’est là que comme enfumage, pour masquer le but du patronat : s’approprier une partie des richesses produites par les salariés pour son luxe et ses jeux sur les marchés financiers. C’est en plus très dangereux, car cela ne fait pas société - « pourquoi mon voisin est aidé et pas moi ? » - à l’opposé d’un système où chacun cotise selon ses moyens et reçoit en fonction de ses besoins.
La longue attention portée au patrimoine des personnes âgées dans l’ensemble du document est assez caricaturale, venant d’un rapport commandité par un gouvernement qui a supprimé l’impôt sur la fortune. La confusion entre le milliardaire enrichi par l’exploitation du travail des autres et celui qui possède son logement, payé à la sueur de son front, est insupportable.
Austérité et refus de faire participer les jeunes générations ne peuvent que déboucher sur une prise en charge à minima ! Seul petit point positif : cela sera une prise en charge publique pour répondre aux souhaits des Français et parce que pour citer le rapport : « le marché n’est pas mature à ce stade ». C’est vrai qu’en cette période où une réforme des retraites est annoncée, mieux vaut ne pas mettre d’huile sur le feu de la privatisation de la protection sociale. Mais le peu d’ambition de cette réforme de la perte d’autonomie laisse la place à une protection à deux vitesses, et histoire de faire « maturer » un marché de l’assurance privée de la dépendance, de nombreuses propositions sont faites tout au long du rapport pour introduire des assurances sous des formes diverses, comme par exemple l’inclusion dans l’assurance logement, d’une garantie pour l’adaptation en cas de handicap.
Un second point pourrait être positif : la reconnaissance de la nécessité d’une globalité, soins et prise en charge de la perte d’autonomie. Mais la traduction est contradictoire en sortant les dépenses de soins de l’assurance maladie pour un financement plus global des EHPAD par la CNSA, qui apparaît comme le support d’une future cinquième branche, facile à privatiser ! Les risques, outre celui de privatisation, sont multiples : de l’effet d’annonces avec le gonflement des sommes allouées à la CNSA, sans véritable effort financier, au rationnement des soins pour les personnes en perte d’autonomie. On n’ose penser que la prise en charge de lunettes ou d’appareil auditif pour les personnes âgées serait assurée par la CNSA. C’est malheureusement concordant avec le projet de loi de santé Buzyn, qui veut limiter au maximum l’accès des personnes âgées à l’hôpital, au prétexte d’éviter des complications en terme de perte d’autonomie, et préfère leur réserver la télémédecine et les hôpitaux de proximité, vidés de leurs services actifs (maternité, chirurgie) et transformés en gériatrie, coupés de l’accès à des spécialistes autres.
Austérité et refus des solutions solidaires s’accompagnent d’un grand mépris pour les personnels des services à domicile et des EHPAD malgré un discours lénifiant ! La nécessité de changer les conditions de travail et de salaires de ces personnels a été sans doute le point le plus mis en évidence dans la consultation. Sous sa forme électronique, celle-ci fragmentait la pensée en courtes phrases : le rapport se garde bien d’une analyse plus poussée pour apporter des réponses de façade (j’y reviendrai ultérieurement) sans poser les véritables questions, comme celle de la confusion entre ces métiers et les activités familiales, en lien avec la féminisation extrême de ses métiers rendant « normale » l’absence de reconnaissance salariale des qualifications. Pire, il sous-entend de mauvaises orientations de Pôle Emploi vers ces métiers sans analyser davantage les raisons du manque d’empathie apparente de certaines salariées : ces anciennes demandeuses d’emploi sont le petit peuple que l’on méprise. La conception de la formation est classique de notre société de classes : mieux vaut des compétences que des connaissances, privilégions l’apprentissage … Bref, il faut former des salariés qui obéissent sans penser. Comment s’étonner ensuite du manque d’empathie ?
Notons enfin que l’on cherche en vain une vraie notion de service public et que la démocratie est la grande absente que ce soit la démocratie sociale - les syndicats de retraités sont cités une fois, ceux des salariés sont ignorés – ou la démocratie politique : les conseils départementaux sont considérés comme des administrations décentralisées de l’État et leurs élus ignorés.
Catégories : santé et protection sociale Lien permanent 0 commentaire

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