Aujourd'hui commençait à l'Assemblée Nationale le débat sur la réforme de la formation professionnelle selon une procédure accélérée.
Cette réforme n'est pas bonne, je vais y revenir, mais alors même que les généreuses intentions annoncées se cachent derrière des mesures techniques complexes où le diable peut se cacher dans les détails et que la soumission au patronat pourrait être quelque peu amoindrie par des amendements tout aussi techniques, le temps imparti par le gouvernement - le projet de loi a été présenté au conseil des ministres du 21 janvier, c'est à dire tout récemment - va transformer cette mauvaise loi en une mauvaise loi baclée. Le gouvernement exauce là un vœu du MEDEF : qu'il y ait le minimum d'amendements ! Le gouvernement préfère écouter le MEDEF que les parlementaires : un vrai déni de démocratie.
Venons en au fond.
- C'est tout d'abord un beau cadeau au patronat : derrière la simplification des cotisations formation professionnelle (je vous passe le pourcentage qui va au FPSPP, le truc qui va là et le machin ici), c'est globalement une baisse de plus de 2 milliards d'euros des dépenses des entreprises consacrées à la formation que ce projet de loi entérine, une nouvelle économie sur le "coût du travail" et de la manière la plus toxique possible pour l'avenir de notre pays, en privant les salariés de formation, en n'investissant pas dans l'Humain !
- C'est ensuite une escroquerie avec tous les compliments qui tournent autour de la mise en place du compte personnel de formation (CPF). Déjà ce n'est pas cette loi qui le crée : il a été créé par la loi de sécurisation professionnelle au printemps dernier. Ce projet de loi ne détermine que sa mise en oeuvre mais en plus cette mise en oeuvre du CPF est une escroquerie intellectuelle.
Que des beaux principes : un compte d'heures de formation attribué à chaque salarié qu'il pourra garder s'il change d'entreprise et ces heures sont réservées à l'obtention d'une qualification. Génial allez vous dire ! Soit dit entre nous, si le PCF n'avait pas lancé l'idée, il y a déjà bien longtemps, de sécurité d'emploi ou de formation, on n'en serait sans doute pas à un tel niveau d'exigences qu'il a bien fallu que le MEDEF se creuse la tête pour trouver comment retourner la situation en sa faveur. Il l'a déjà retourné en échangeant ces 2 et quelques milliards de gain contre la mise en place mais il a fait mieux en rendant les salariés responsables de leur "employabilité" et en limitant l'utilisation du CPF aux stricts besoins patronaux (dans la vue à très court terme qu'on lui connaît dès lors que l'investissement dans l'avenir peut contrarier ses profits immédiats)
Je voudrais juste illustrer ce propos par deux points :
Tout d'abord la limitation du CPF à 150 h (d'ailleurs dans ce que j'avais écrit sur ce blog le jour où avait été annoncé l'accord national interprofessionnel, j'avais sous estimé la capacité de nuisance du patronat et n'ayant pas le texte de l'accord, seulement des commentaires, j'avais parlé de 200 h !). 150 h, c'est un mois de formation ! Il y a une contradiction manifeste entre l'affirmation que le CPF doit servir uniquement pour l'obtention d'une qualification et cette limitation à 150 h ! La moindre formation menant effectivement à une qualification nouvelle, c'est au moins 500 h, plus souvent 800 ou 1200 h. Les salariés vont donc se retrouver devant l'incapacité d'utiliser leur CPF sauf à trouver des cofinancements (on parlera d'abondements de leur CPF ; ça fait plus chic) ou à payer de leur poche. Et cerise sur le gâteau, le MEDEF en a profité pour supprimer l'allocation que les entreprises devaient verser à leurs salariés qui utilisaient leur DIF (droit individuel à la formation) hors temps de travail. Bref, le CPF risque de n'être guère plus utilisé que le DIF, les conditions étant encore plus contraignantes, sauf pour les demandeurs d'emploi. Je vais y revenir.
Le deuxième point du CPF que je souhaite aborder est la limitation des formations ouvertes à l'usage du CPF à une (ou des) listes. Le" une" ou "des" et le "qui décide" fera manifestement partie des débats au parlement. Mais cette limitation pose une question de fond et témoigne bien de la volonté de limiter les formations aux stricts besoins du patronat. Certes, il faut fixer des cadres. Il ne peut être question que le CPF serve à enrichir des organismes de formation bidon, mais on pourrait rêver d'un tout autre cadre, que le CPF puisse n'être utilisé que dans le service public de formation, tout le service public : GRETA, CNAM, AFPA, CFPPA, université et éventuellement dans d'autres organismes de formation, dument agréés pour la qualité de leur formation !
- Dernier mot sur la formation des demandeurs d'emploi. On nous fait verser des larmes de crocodile sur la nécessité de les former, mais ce n'est pas cela qui crée les emplois ! Cela positionne juste ceux qui sont formés moins loin dans la file d'attente de l'emploi. Ceux qui auront des heures sur leur CPF devront de toute façon avoir un accord de financement complémentaire de Pôle Emploi ou d'une région, accord sans doute donné aux mêmes que ceux qui bénéficient actuellement de formation par ces financeurs. Les régions sortiront un peu moins d'argent de leur poche, sachant que plusieurs ont déjà cette année baisser leur budget formation des demandeurs d'emploi, faute de ressources (ce que l'on s'est refusé à faire en Champagne Ardenne, on l'a même augmenté) et Pôle Emploi fera aussi sans doute quelques économies, à moins que le patronat ne reprenne de l'autre main ce qu'il a consentit d'une main pour la formation des demandeurs d'emploi et j'attends avec impatience de voir ce que va donner la négociation sur l'assurance chômage, sous le volet accompagnement ! Mais je doute que cela ne change quoique ce soit de concret pour les demandeurs d'emploi.