Ce sont aujourd'hui les 70 ans de la première
ordonnance lançant le processus de création de la sécurité sociale
par Ambroise Croizat, ministre communiste à la libération.
L'occasion de revenir sur ce qui fait sens et est plus que jamais
d'actualité et je vais expliciter ici l'intérêt de l'universalité
de la Sécurité Sociale, ne souhaitant pas en ce dimanche revenir
sur le financement de la protection sociale, sauf à dire que la
presse locale du jour oublie juste que ce qui rend difficile
l'équilibre des comptes de la Sécurité Sociale, ce ne sont pas
l'augmentation des dépenses de santé ou l'allongement de la vie,
mais l'augmentation des profits des grandes entreprises, le coût
du capital !
Universalité : faisons un petit détour dans un autre domaine, car
on est pas tous malades le même jour, mais les lycéens rentrent
tous le même jour au lycée ! La gratuité des manuels scolaires est
une question forte dans notre future région, à peu près assurée en
Champagne Ardenne et en Lorraine par des dispositifs pour tous
tandis qu'en Alsace c'est une aide aux plus en difficulté, avec,
la famille qui hésite à aller demander l'aide, avec le gamin qui
dit "ce livre là je ne l'ai pas parce que je ne l'ai pas trouvé
d'occas et il était trop cher", et qui ajoute à son copain : "toi
t'as de la chance d'avoir eu une aide". Petite illustration
concrète de ce qui contribue la fragmentation de notre société,
les récriminations, à juste titre, de tous ceux qui sont juste au
dessus des seuils des différents types d'aides, à juste titre
quand ça ne dérive pas vers le "on aide plus les étrangers" ou "on
aide plus les chômeurs" avec tout un terreau fertilisée ainsi par
une soit disant politique sociale qui oppose les pauvres entre eux
et favorise le développement des idées haineuses du FN. La
question d'aider tous ou d'aider selon les revenus pose évidemment
la question des moyens, mais cela peut se régler dans une réforme
fiscale (je ne suis pas là dans le cadre de la protection sociale)
permettant la redistribution tout en en augmentant les moyens,
seule solution pour cesser cette fragmentation de la société
particulièrement dangereuse pour la cohésion de notre pays mais
bien au goût du patronat : le diviser pour régner.
Et c'est là tout le génie d'Ambroise
Croizat qui a porté un projet pour toute la société. On
lit dans l'exposé des motifs de l'ordonnance du 4 octobre 45 :
"La sécurité sociale
appelle l'aménagement d'une vaste organisation nationale
d'entr'aide obligatoire qui ne peut atteindre sa pleine
efficacité que si elle présente un caractère de grande
généralité à la fois quant aux personnes qu'elle englobe et
quant aux risques qu'elle couvre. Le but final à atteindre est
la réalisation d'une plan qui couvre l'ensemble de la
population du pays contre l'ensemble des facteurs
d'insécurité."
Cette très grande généralité, cette universalité de la sécurité
sociale est à même de rassembler toute la société et c'est pour
cela que l'on peut dire que c'est du communisme en construction.
« Chacun cotise selon ses moyens et
reçoit en fonction de ses besoins. ». Pour les
communistes, ce principe reste plus que jamais le ciment de la
protection sociale. Il est insupportable pour le grand patronat,
pour les financiers. C’est contraire à l’individualisme, moteur de
la logique assurantielle qui leur est si chère. Nous sommes bien
au cœur de la violente bataille idéologique actuelle. C’est un
vrai choix de société, l’assistanat ou la solidarité,
l’individualisme ou la force du collectif, l’assurantiel ou la
protection sociale solidaire.
Dans ce cadre, l’universalité de la protection sociale est le
moteur et la logique de la Sécurité sociale. L'offensive
menée l'année dernière contre les allocations familiales
est dramatique de ce point de vue ! Jeter en pâture la modulation
des prestations de la politique familiale n’est pas anodin. C'est
ouvrir la boite de Pandore : demain, ce peut être le système de
santé publique réservé aux pauvres, les couches moyennes et
supérieures étant obligées d'aller se soigner dans le privé.
Le gouvernement a justifié cette remise en cause par un souci de
justice sociale…Avec cette réforme, on tend à diviser les familles
entre elles. Et on tend à confondre une politique familiale avec
une politique sociale. Il y a des inégalités de revenu, c’est
vrai, mais il faut les combattre autrement : par la politique
fiscale, une augmentation du Smic et des salaires, une égalisation
par le haut des salaires féminins et masculins. La politique
familiale n’est pas une politique de redistribution des revenus,
ni une politique de redistribution entre les familles; c’est une
solidarité horizontale entre ceux qui n’ont pas d’enfant et ceux
qui en ont. C’est une politique d’aide à l’enfant. Il est
scandaleux de considérer que l’enfant des couches moyennes ou
supérieures doit être discriminé. Le fait qu’une famille choisisse
d’avoir un nouvel enfant ne doit pas être pénalisant, désincitatif
! Le gouvernement est malheureusement plus fidèle à ses promesses
quand il s'agit de casse que quand il s'agit de s'attaquer à la
racine du mal qu'est le capitalisme : d'après les premières
informations sur le PLFSS 2016, comme annoncé l'année dernière,
les cotisations patronales famille baissent pour améliorer les
profits des entreprises !
Universalité de la sécurité sociale, c'est aussi bien évidemment
le financement de la perte d'autonomie. La prise en charge
actuelle n'est pas acceptable. Cette semaine, je suis passée chez
une vieille camarade dont le mari a du être placé en maison de
retraite, financé sur sa retraite à lui, mais aussi, comme c'est
insuffisant, sur sa retraite à elle. Elle me dit : "je reviens des
courses, cette semaine j'ai explosé mon budget en achetant de la
viande. La semaine prochaine je n'en achèterai pas." Nous
sommes au XXIème siècle ! Il est urgent d'agir ! La perte
d'autonomie n’est en rien un risque en soi, ce qui explique que
nous rejetions l’assurantiel, mais un état qui justifie la mise en
œuvre de moyens et d’expertises divers pour assurer à un individu
la poursuite de son existence dans la dignité, à partir d’un
développement des solidarités ainsi que des financements et des
accompagnements collectifs nécessaires. Aussi, à l'opposé de
solutions de type assuranciel privé ou de toute solution
insuffisante poussant au recours vers des couvertures
complémentaires, il faut une prise en charge complète, reposant
sur un financement adapté, pérenne et dynamique, supprimant les
restes à charges pour les familles, universel et solidaire où
chacun contribue selon ses moyens : il s'agit bien là des
principes fondateurs de la sécurité sociale, dont la mise en œuvre
permettrait la prise en charge sanitaire et médico sociale de la
perte d'autonomie, complété d'un grand service public visant à
assurer l'ensemble des prestations nécessaires (accessibilité,
logements, transports adaptés …). La proposition d'un service
public du service à la personne développé par les communistes, en
particulier au moment des élections départementales, a reçu un
excellent accueil, correspondant à un besoin, à la fois pour les
personnes qui ont besoin d'aide mais aussi pour les personnels qui
travaillent dans ce secteur actuellement, le plus souvent dans des
conditions précaires.
Je vais finir par la couverture des soins : nous sommes
très loin d'une couverture universelle, avec des restes à charge
de plus en plus importants, justifiés à travers une énorme
campagne de culpabilisation des malades, forfait hospitalier,
déremboursement de médicaments, franchise médicale, dépassement
d'honoraire sans parler des questions d'appareillage et vous avez
sans doute tous entendu la campagne de Que Choisir cette semaine
sur les appareillages auditifs, sauf que la question du
remboursement n'est pas posé. L'application de toutes ces mesures
a conduit 30% de la population et prés de la moitié des étudiants
à renoncer à se soigner générant un vrai problème de santé
publique. Il y a en fait deux situations distinctes : celle des
patients hospitalisés ou reconnus en ALD ou bénéficiaires de la
CMU avec des remboursements proches de 100% et celle de tous les
autres, pour lesquels le remboursement par la sécurité sociale est
de l'ordre de 60%, le reste étant couvert par les complémentaires
ou par le patient lui-même. Ce dualisme croissant, où
schématiquement, les riches, entre guillemet et les "biens
portants" voient réduire leur prise en charge publique par la
sécurité sociale constitue une modalité silencieuse pour ouvrir la
porte à la substitution d'une solidarité de tous avec tous par une
privatisation de la protection sociale. C'est évidemment avec la
bénédiction de l'Union Européenne, qui dés les années 90 a ouvert
le champ de l'assurance sociale en exigeant la fin du système
mutualiste tel que nous le connaissions jusqu'en 2001. Les pièces
du puzzle continuent à s'emboiter : l'ANI rend obligatoire, par
appel d'offres, les contrats de groupe. Le tiers payant généralisé
du projet de loi Touraine devra permettre que la frontière entre
les deux modes de remboursement, public par la sécurité sociale et
privé par sa complémentaire, ne soit plus perceptible pour que le
patient ne sache plus qui paie quoi. C'est toute la perversité du
gouvernement actuelle : sous couvert d'une bonne mesure, car
effectivement, le tiers payant peut éviter certains renoncements
aux soins, c'est toute une machinerie de guerre qui se met en
place contre la sécurité sociale et son universalité. Et les
discours de Marisol Touraine de célébration de la sécurité sociale
ne sont que mensonges : les faits démentent les paroles !
La proposition de remboursement des soins prescrit à 100% par la
sécurité sociale pour tous, proposée par le PCF, même s'il propose
de commencer par les jeunes, va à contre courant de cette dérive
rampante de privatisation de la protection sociale. L'universalité
de la sécurité sociale est aussi une protection contre la
privatisation de la protection sociale.
Cette idée géniale d'universalité de la
protection sociale est plus que jamais d'actualité : porteur
de sens dans une société où l'on fait de l'en commun, à
l'opposé du chacun pour soi, rempart contre la privatisation.
L'avenir, c'est bien l'extension des conséquences de cette
idée, avec le 100%, avec un vrai financement de la perte
d'autonomie.