Axel Kahn - ce n'est pas le pire intellectuel du microcosme parisien - raconte dans un livre - Pensées en chemin - sa traversée de la France à pied, l'été dernier, de Givet à St Jean de Luz. Il dit son étonnement de l'abandon dans lequel se trouvent les Ardennes, de cette misère qu'il a rencontré et qui manifestement l'a marqué, car il cite à de multiples reprises les Ardennes, non seulement en en racontant sa traversée, bien avant dans son livre ... et le cours de son voyage vers le sud de la France.
Cette situation est-elle donc si méconnue ? Cela témoigne bien de la rupture entre "l'élite parisienne" et le pays. Axel Kahn n'était il pas le candidat de Hollande dans une circonscription parisienne aux élections législatives de 2012 ?
De ce point de vue, les trois émissions de Daniel Mermet du début de la semaine, présentant un reportage de Gaylord Van Wymeersch sont une réussite. En cliquant ici, vous pourrez écouter la dernière, celle dans laquelle Christian Deschamps s'exprime largement sur la beauté de notre département, la tradition ouvrière, l'humanisme des ses habitants, leur courage. Et cela vous permettra évidemment de revenir sur les précédentes, la première avec un retour historique en compagnie de Didier Bigorgne, la seconde avec les jardins ouvriers, la casse de la ligne Givet/Charleville avec Alain Janvre, l'animateur du collectif de défense de la ligne, et l'hôpital avec moi-même.
Une réussite ? Je n'en suis pas si sure. Mon malaise après avoir rencontré le journaliste, mon interrogation à l'écoute de ses trois émissions sont aggravés par la lecture de la presse locale du jour, retenant avant tout de ces émissions le "radio-trottoir" justifiant le vote FN, plutôt que le remarquable témoignage de Christian.
Evidemment, il nous faut regarder la réalité en face, en analyser les causes. Mais n'en rajoutons pas ! L'analyse ne serait pas bonne, permettant les vraies réponses. Evidemment le vote FN doit être analysé, mais il faut aussi le relativiser, le rapporter à l'abstention et s'interroger sur tous ceux - ils, elles, représentent plus de la moitié de la population - qui n'ont pas été voté.
Je parlais de malaise après la rencontre avec Gaylord, l'auteur de ce reportage. J'avais été marquée par ses demandes de reformulation de ce que je disais - heureusement, il n'a pas gardé ses passages - une demande de reformulation simpliste avec des mots très vrais d'austérité, de libéralisation mais masquant les causes profondes de capitalisme moribond, de luttes de classes ... Malaise aussi devant la crainte, non vaine, d'un reportage noir, alors que les Ardennais ont besoin d'espoir et que cet espoir existe.
Espoir à travers les luttes, celles aujourd'hui des salariés d'Electrolux ou de Techsom, luttes contre des reprises misérabilistes de leurs entreprises laissant toute une part des salariés sur le carreau, des reprises qui en évoquent bien d'autres, une manière de diluer dans le temps la casse industrielle, de diviser pour que le capital règne mieux !
Espoir aussi dans l'avenir industriel de notre pays, de notre département à travers l'innovation, car l'avenir est évidemment dans la relocalisation des productions, dans leurs adaptations à l'enjeu de l'économie circulaire, celle qui permet la réutilisation des matières premières - tout autre projet serait suicidaire pour l'environnement, pour le climat. Les techniques de productions additives, soustractives ... sont de celles-là. Encore faudrait-il que le "vivons heureux, vivons cachés" des patrons ardennais se modifie ! Car l'avenir passe par une participation plus importante des salariés aux décisions de leurs entreprises, condition d'une véritable modernisation, condition d'une économie répondant aux besoins des populations plutôt qu'à la seule loi du profit. Condition aussi d'une meilleure connaissance de ces potentialités pour que les jeunes restent dans le département, que celui-ci redeviennent terre d'immigration et que l'on ne lise plus des propositions comme celle qu'Axel Kahn fait dans son livre, réduisant l'avenir du grand nord est de la France à la création de centres d'appel. Car autant les nouvelles possibilités de communication à distance sont un atout pour la relocalisation, autant un développement économique pour l'Humain d'abord ne peut se faire autour de l'anomymat de la réponse à distance et de la casse des services de proximité. Et le fatalisme de l'élite parisienne, ne voyant l'avenir qu'à travers le tertiaire, oubliant qu'agriculture et industrie sont incontournables sauf à rendre la France dépendante, est insupportable car témoin d'une soumission à la recherche d'un capitalisme moribond du profit maximum.