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"Déserts médicaux" : l'urgence d'une approche nouvelle

La situation actuelle est connue et dramatique : avec le départ à la retraite des derniers médecins généralistes formés avant la mise en place du numerus-clausus, de plus en plus d'habitants des villes et des campagnes n'ont plus de médecins traitants ! Le débat est sur la place publique. Mais ce n'est que l'aspect le plus visible !
Comment et pourquoi cette situation ? Quelles solutions ? Ce qui suppose quelques mots sur le système de santé souhaité et les transformations nécessaires de la formation.

I Cette situation a été voulue !

Les débats sont cristallisés sur le déficit en médecins, mais ce sont, à des degrés divers, toutes les professions de santé qui sont touchées.
Toutes les spécialités médicales sont frappées avec mention spéciale pour certaines : outre la médecine générale, les spécialités à visée préventive : médecine du travail (un bon prétexte pour la casser à travers la loi El Khomri), la médecine scolaire. Mais aussi les psychiatres - peu utiles si on veut se contenter de normaliser les comportements plutôt que de soigner - et les spécialistes « clé » dont l'absence aide à justifier les fermeture de services ou d'hôpitaux (gynéco, anesthésistes, urgentistes …)
Le déficit touche toutes les régions, avec des inégalités intrarégionales : les villes universitaires sont mieux pourvues que les zones rurales et les banlieues.
Le déficit est souvent plus masqué pour les autres soignant-e-s : les suppressions de postes dans les hôpitaux rendent improbable le CDI à la sortie de l'école de sage femme ou d'aide soignant-e, justifiant des réductions de quotas alors même que le travail existe, à défaut de l'emploi : le burn out menace tous ceux et celles qui travaillent !
Le manque de médecins est lié à plusieurs causes :
- Le numerus clausus instauré en 1971 par consensus entre le gouvernement qui considérait que les dépenses de l'Assurance maladie étaient trop importantes et les syndicats corporatistes  car ce qui est rare est cher ! Dès le début, le PCF s'y était opposé.
Tout en installant la pénurie, le numerus-clausus a renforcé la ségrégation sociale des études médicales
- L'augmentation des besoins (évolution démographique, vieillissement de la population, progrès scientifique ...)
- L'évolution des pratiques professionnelles avec en particulier la féminisation : Il est apparu la notion prioritaire très légitime de « confort de vie et d’exercice »
L’objectif des capitalistes est atteint : rendre les soins remboursables plus rares et favoriser le secteur non remboursable. Le Reste à Charge RAC (« franchises », complémentaires, dépassements, dépenses directes…) pour les patients croit fortement !

II Des professionnels pour quelle société, pour quel système de soins ?

Pour une société qui réponde aux besoins !
Cela passe par des structures publiques de proximité, avec un maillage du territoire donnant la priorité à la prévention et aux soins primaires. A l'opposé de la vision libérale du développement de l'ambulatoire pour diminuer les dépenses hospitalières, il faut plus d'hôpital pour plus de soins primaires de meilleure qualité ! Plus d'hôpital, parce que les médecins généralistes ont besoin d'être soutenus par un hôpital proche, plus d'hôpital, parce qu'il ne s'agit pas pour lui de se désengager des suites d'hospitalisation sur le médecin généraliste, mais de coordonner avec lui les parcours de soins ...
La coexistence entre service public et exercice libéral de la médecine est un des fondements du consensus social dans notre pays. Cette dualité public/privé historique a prouvé son échec dans sa capacité à répondre aux besoins de la population. Elle est traversée par le développement du libéralisme et l'offensive capitaliste tendant à ce que ce soit le privé qui l'emporte sur le service public avec des nouvelles formes : ce n'est plus la clinique familiale, mais des chaînes de cliniques cotées en bourse, les mêmes évolutions dans les laboratoires d'analyse médicale par exemple et cela partout en Europe, avec des mixités voulues contribuant à faire perdre tout repère.
Face à cette offensive libérale, il faut développer le service public, seul à même de répondre véritablement aux besoins de la population, avec d'autant plus de facilité que cela correspond aux attentes d'une part de plus en plus importante de jeunes professionnels qui souhaitent être salariés. Un véritable service public de santé primaire doit être développé en commençant là où la médecine libérale ne répond pas aux besoins et l'état ne peut se décharger sur les collectivités, les mutuelles, les associations, de la responsabilité de créer des centres de santé. Il peut pour ce faire s'appuyer sur l'hôpital public.
Ce service de santé primaire doit pouvoir travailler largement avec l'université pour développer enseignement et recherche.
Répondre aux besoins des populations suppose une véritable démocratie en santé, avec le retour à des élections à la sécu, la mise en place de structures territoriales de véritable recueil démocratique des besoins et d'évaluation des réponses apportées, avec synthèse à l'échelle régionale et évidemment aussi la prise en charge financière avec le 100% sécu.

III Des propositions complémentaires et offensives sont nécessaires

Tout d'abord, ce qui devrait être une évidence : les médecins doivent avoir les mêmes droits que les autres salariés, pas plus, mais pas moins non plus (dans le temps de travail …) et il n'est pas juste de faire payer aux jeunes générations médicales (en particulier féminines) l’incurie des décisions politiques antérieures.

Proposition 1 : le numerus-clausus doit être supprimé.

Sa suppression ne règle pas tout … mais cela fait 20 ans que cet argument est utilisé pour le maintenir, avec les conséquences que l'on voit !
Pas plus en médecine qu'ailleurs, la sélection à l'université n'a de justification, à part la volonté patronale d'adaptation des formations aux emplois actuels et d'élitisme.
Il y a par contre nécessité d'en organiser la suppression pour que les études se passent dans de bonnes conditions avec des moyens nouveaux pour l'enseignement théorique et le développement des lieux de formation pratique en lien avec la priorité mise sur les soins primaires.

Proposition 2 : l'Etat doit développer un service public territorial de santé.

Cela ne peut être laissé à la bonne volonté des collectivités territoriales, avec toutes les inégalités que cela engendre, en lien avec les choix politiques ou les possibilités financières. C'est à l'Etat d'assumer cette responsabilité : il peut pour cela s'appuyer sur le réseau des hôpitaux publics comme structure porteuse de centres de santé mais il doit en assurer les investissements nécessaires et le fonctionnement doit être garanti pour répondre aux besoins de soins et de prévention à travers un financement de la sécurité sociale affranchi du paiement à l'acte.
Responsabilité de l'état, seule à même d'assurer des implantations de centres de santé partout où nécessaire, mais accompagnée d'une gestion sous contrôle démocratique des personnels, des usagers et des élus, indispensable pour  garantir que la structure réponde bien aux besoins.

Proposition 3 : des formations à la hauteur des enjeux du XXIème siècle

- Il faut augmenter le nombre de professionnels formés : les prévisions des besoins doivent tenir compte des besoins non couverts, car non financés (des sage femmes sont au chômage parce qu'on ferme des maternités !). De plus il y a des besoins nouveaux, du fait de l'augmentation de la population, de son vieillissement, des progrès médicaux, avec le développement de nouvelles techniques nécessitant du personnel et la transformation de maladies mortelles en maladies chroniques.
Enfin, la santé comme bien public mondial est un concept qui évolue et dans ce cadre-là, il serait légitime d'assurer la formation d'effectifs médicaux supplémentaires, supérieurs aux besoins nationaux en mettant en place des programmes internationaux de coopération, plutôt que de capter les capacités médicales des pays pauvres.
- Les études médicales doivent être repensées autour de trois pistes de réflexion :
a) Le début des études doit permettre un haut niveau scientifique, mais aussi en sciences humaines, un début commun avec un spectre élargi de débouchés.
b) La poursuite des études médicales ne devrait pas être la juxtaposition de spécialités enseignées par des hyperspécialistes, mais une approche globale, qui serait facilitée par la promotion d'enseignants de médecine générale.
c) La démocratisation des études de médecine passe par la suppression du numerus-clausus, la transformation  des contenus du début, l'allocation d'autonomie de la jeunesse et une généralisation de contrats d'engagement de service public sous des formes à discuter. La démocratisation des études est aussi un enjeu pour une meilleure répartition des médecins dans la ruralité et les banlieues.
- Toutes les professions de santé méritent réforme de leurs formations : par exemple, la transformation du référentiel des études d'infirmier-e-s en 2009 est la traduction d'un vision réductrice de la profession, adaptation à la nécessité de faire des actes protocolisés, plutôt que formation globale permettant de comprendre ce que l'on fait.

Proposition 4 : la coopération pour la mise en réseaux et la construction de parcours de soins.

Le développement de maladies chroniques, le vieillissement de la population avec la multiplication des polypathologies, nécessitent la mise en place de parcours de soins. Mais dans la situation actuelle, la recherche des actes les plus rentables, que ce soit en ville ou en hospitalisation, les coupes sombres parmi les personnels assurant le relationnel, jugé inutile (les secrétariats en particulier) rendent impossible les coopérations au seul service des malades ! Cette logique doit être inversée : elle correspond à la fois aux besoins des patients et aux aspirations des jeunes générations : le travail en équipe permettant à la fois échange de connaissance et meilleur respect d'un partage vie professionnelle/vie privée.
Le développement du service public, avec la multiplications de centres de santé, des financements plus globaux, est le moyen de ces coopérations indispensables.

Proposition 5 : la démocratie au cœur du fonctionnement

Répondre aux besoins de la population ne peut se faire en dehors d'une démocratie en santé poussée seule à même d'éviter de fausses réponses. Et les questions à débattre sont multiples :
Evaluer les besoins en prévention, en soins, est sans doute la question centrale avec son corollaire, l'évaluation des réponses apportées.
Avec déjà une première problématique : quand on parle satisfaction des besoins, de quels besoins s'agit-il ? Des soins jugés nécessaires par les professionnels ou des besoins exprimés par la population ? Un débat qui peut s'illustrer à travers la question des urgences réelles et des urgences ressenties. Et il y a à apprendre dans ces échanges tant pour les professionnels que pour les usagers !
Mais les enjeux du XXIème siècle apportent aussi leur lot de problématiques :
- Quelle place pour les technologies du numérique ? Leur utilisation au service de l'austérité budgétaire, du contrôle des personnels et des populations, pourrait faire oublier les potentialités nouvelles qu'elles peuvent ouvrir pour autant que l'on n'oublie pas qu'il ne s'agit que de technologies et que l'Homme malade a besoin d'humain d'abord !
- Quels nouveaux métiers ? Le développement de la prévention, l'éducation à la santé, la coordination des soins, le développement de nouvelles technologies au service de la surveillance des maladies chroniques ou de la prévention de la perte d'autonomie, autant de champs (et il y en a d'autres) qui nécessiteraient de nouveaux métiers. Le débat doit avoir lieu en  sachant que ce ne peut être une médecine au rabais faisant faire des actes médicaux à des professionnels formés sur le tas et sous payés sous prétexte de pallier le manque de médecins.
- Quelle liberté de prescription ? La crainte d'une limitation de celle-ci est pour certains un frein au développement du salariat. Mais la sécurité sociale surveille aussi ! Cela pose la question de la HAS et du développement de protocoles (particulièrement incongrus en psychiatrie), de la nécessité de l'indépendance scientifique par rapport au politique : de vrais débats démocratiques sont nécessaires.

Proposition 6 : la régulation de la répartition des professionnels de santé ne peut être la répartition de la pénurie !

Il y a urgence et la seule suppression du numerus-clausus n'est pas la solution immédiate, sauf qu'elle peut redonner espoir et autoriser des mesures transitoires. Ce peut être par exemple l'association de médecins libéraux proches de la retraite à des nouveaux centres de santé, à charge pour eux de transmettre leurs connaissances à des jeunes en fin d'études ou jeunes diplômés à qui on demanderait, en échange, un engagement de deux ou trois ans, assurant ainsi aux uns et aux autres une bonne qualité de vie et de travail. D'autres formes d'engagement des jeunes vers les zones les plus en difficultés, les spécialités les plus déficitaires peuvent être trouvées : même si les études de médecine sont longues, la date du diplôme n'est que rarement celle d'une installation ou prise de fonction définitive.
A la seule régulation financière proposée aujourd'hui, il faut adjoindre l'attrait  du travail : celui du travail pluridisciplinaire, du respect de la durée du travail, du soutien administratif, permettant que le travail des médecins soit un travail médical et non parasité par de la paperasserie ... C'est cela que pourrait offrir un service public organisant les soins avec un maillage territorial de structures, hôpitaux et centres de santé, avec par ailleurs des possibilités pour les professionnels de changement d'activité dans une sécurité d'emploi et de statut.
Il y a urgence aussi à attirer et à garder les médecins dans les hôpitaux publics, là aussi par la qualité des conditions de travail (privilégier l'intérêt des malades plutôt que le budget de l'hôpital, donner des droits d'intervention aux salariés dans la gestion ...) et par un rééquilibrage des revenus des médecins, entre spécialités et entre public et privé.
La régulation doit être incitative mais il y a urgence, urgence sous peine d'un grave problème sanitaire : sans doute est il nécessaire d'une obligation temporaire de travail deux ou trois ans à la fin des études dans les zones les plus déficitaires !

Proposition 7 : financer le service public et aller vers le 100% sécu serait une économie.

Il s'agit là à peine d'une provocation : de la prévention, des soins primaires bien coordonnés avec des possibilités d'hospitalisation dans la proximité pour toutes les pathologies courantes, c'est éviter bien des retards de soins coûteux !
Décharger un médecin des taches administratives, c'est lui permettre de prendre en charge plus de malades.
Le 100% sécu, c'est à la fois économiser la double gestion sécu/mutuelle (et celle des mutuelles est beaucoup plus chère) et économiser sur des retards de traitement liés à des restes à charge.
Les choix contraires faits actuellement sont autant ceux de l'austérité que de la privatisation, de la marchandisation des soins et de la protection sociale.
Cette idée lancée par le PCF est de plus en plus reprise par d'autres, ce qui montre bien la portée des idées communistes ! Faisons cependant attention à ce que cela ne soit pas détourné avec un panier de soins réduit ... et la fin des mutuelles, remplacées par des surcomplémentaires finançant les intérêts privés. Faisons attention à ce que cela ne soit pas détourné avec des économies pour les patrons et plus à payer pour les 99% de la population.
Allez vers le 100% sécu serait une économie à condition d'y mettre les moyens : cela doit permettre de faire beaucoup plus avec un peu plus !

En conclusion, il n'y a pas de fatalisme à ce que la pénurie de personnels de santé perdure, si on s'en donne les moyens, en particulier dans le développement du service public comme le montre les pistes de réflexion évoquées ci-dessus. C'est un choix de société.
Catégories : Au fil des jours, santé et protection sociale Lien permanent 0 commentaire

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