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En silence, l'Agence Régionale de Santé établit sa stratégie pour les dix ans à venir.

A la suite des lois Bachelot et Touraine, les ARS doivent proposer un plan régional de santé, avec un cadre stratégique (COS) pour les dix ans à venir. L'avant projet de ce cadre stratégique dans le Grand Est circule. Sa lecture est édifiante : masquée par une novlangue technocratique, son objectif est avant tout de limiter les dépenses de santé et de continuer à faire perdre tout repère entre public et privé, que ce soit au niveau de l'organisation des soins ou de la protection sociale. De ce point de vue par exemple, il parle de complémentaires, sans faire la différence entre mutuelles et assurances privées, sans même que la particularité du système local d'Alsace Moselle ne soit citée.
Avec un parti pris d'adapter les dépenses aux recettes de la sécurité sociale, sans envisager que celles-ci puissent être augmentées ( ah, le sacré coût du travail, alors que le capital coute si cher en dividendes, optimisations fiscale et autre), le but de ce cadre stratégique est d'adapter notre système de santé, non aux besoins des populations, mais à l'austérité.
Comme dans l'ensemble des politique de prévention en santé pour les adeptes du libéralisme, le travail n'existe pas, le danger constitué par le recul de l'âge de la retraite, évidemment pas non plus et l'ARS ne propose que des politiques de prévention reposant sur l'éducation des comportements, volontiers culpabilisatrice.
Quand à la politique de soins, elle met la charrue avant les boeufs : vider les hôpitaux, avant d'avoir construit un véritable réseau de prise en charge ambulatoire (c'est vrai que les techniques se modernisant, certaines hospitalisations peuvent être raccourcies, mais sous certaines conditions de poursuite de soins à construire et pas pour tous les patients, quoiqu'en disent les administratifs) et utiliser les technologies du numérique avant d'en avoir valider l'utilité (car il y a à boire et à manger là dedans !) et avec des contradictions énormes, car tout en reconnaissant le vieillissement de la population, ce COS propose des perles, comme de ne plus servir les hospitalisés dans leur chambre, mais de faire des restaurants en self service : on imagine papy ou mamie avec ses cannes porter son plateau repas !
Vous trouverez ci-dessous une analyse détaillée de ce document, un peu polémique, certes, mais sinon, résumer de la langue de bois, c'est pas drôle. Et je ne reprends même pas tout ce qui est sujet à critique : il y en a trop !

L'ARS du Grand Est a engagé des "concertations" sur le Cadre d'Orientation Stratégique 2018-2027 : concertation est sans doute un bien trop beau mot pour ce qui se passe au sein de la CRSA dont les représentants des usagers ont été choisis par l'ARS
C'est quoi le COS ? Le plan régional de santé (PRS),qui sera adopté pour le 1er janvier 2018, doit comporter un cadre d'orientation stratégique pour 10 ans et pour les 5 prochaines années un schéma régional de santé et un programme régional d'accès à la prévention et aux soins des personnes les plus  démunies (PRAPS).
Le COS, je cite : « s’inscrit dans une dimension prospective et vise, autant que possible, à prendre en compte les évolutions / innovations technologiques, thérapeutiques, organisationnelles majeures de nature à modifier profondément le paysage régional de la santé dans les 10 ans à venir et à générer des évolutions en matière de pratiques professionnelles, de comportements des patients, d’organisation et de modalités de leur prise en charge. »
Qu'est ce qu'il y a dans ce COS ? L'avant projet qui circule comporte 44 pages de novlangue technocratique - je vous passe des expressions comme l'ambition d'avoir un PRS agile et je vous mets en note ci-dessous(1) un remarquable exemple de refus de la réalité dissimulé derrière un savant verbiage - masquant une réelle volonté d'adopter une stratégie limitant les dépenses de santé : une page complète est consacrée à la "soutenabilité financière du système de santé" avec un parti pris d'adapter les dépenses aux recettes actuelles de la sécurité sociale, sans envisager que celles-ci pourraient être augmentées ! (Au fait, combien de milliards d'évasion fiscale ?!)
Comme dans tout bon document, il y a une première partie d'état des lieux, générale  puis dans le Grand Est, avant de présenter les trois grandes orientations stratégiques, celle de faire évoluer le système de santé dans une logique de parcours de santé - orientation intégrant la partie prévention de ce COS, ce qui en soit en marque la réflexion limitée et par exemple la notion de travail n'existe pas, pas plus que celle d'environnement - celle d'agir sur la démographie et la formation des professionnels de santé. La promotion des outils et usages du numérique constitue à elle seule la troisième orientation stratégique : ça doit faire neuf, bien ... mais d'un volontarisme sans limite et sans autre objectif que le développement du numérique pour le numérique (et - cela n'est pas dit, mais va de soit vu le contexte - pour les économies) sans même se demander si cela répond aux besoins de la population et des professionnels. Le COS se termine avec les orientations du PRAPS avant une conclusion sur les partenariats de l'ARS et le pilotage du PRS. Je reprends tout cela en détail.
Un état des lieux bien pauvre ... et orienté ! Il n'y a en effet pas grand chose de neuf dans cette première partie :
- la population vieillit, a de plus en plus de maladies chroniques ! On le sait ! Il faut donc développer la prévention ! Bien ! Sauf qu'un vrai état des lieux ne se bornerait pas à citer certains comportements sans la moindre allusion au travail (et quelles vont être les conséquences du recul de l'âge de la retraite sur la santé ?)
- il y a des progrès en santé et des nouvelles technologies ! On le sait ! Mais la volonté de réduire l'offre de soins est si forte pour l'ARS que l'on a cette contradiction remarquable : la télémédecine et l'interprétation à distance devrait permettre de concentrer les plateaux techniques d'imagerie ! Alors que précisément, la télémédecine permet une interprétation à distance, ce qui permet le recours à un avis très spécialisé et donc il peut y avoir des plateaux techniques de proximité évitant aux malades de se déplacer pour un simple examen !
- il y a des inégalités d'accès aux soins ! On le sait ! Il y a des populations pauvres qui n'ont pas de voiture et pas de possibilité d'accès aux transports en commun. Il n'y a pas que des pauvres d'ailleurs - qu'est ce que c'est que cet à priori sur un choix de mode de vie ? ! Mais si l'ARS connait leur existence, pourquoi veut elle absolument toujours diminuer les remboursements de transports sanitaires par la sécu ? Dans ce chapitre, l'ARS se lâche en en déduisant quatre enjeux. Le premier est un exemple remarquable de langue de bois : " Une amélioration de la prise en charge des patients par l’adaptation des pratiques à l’évolution de la médecine et de la société " mais la suite dit bien le but : un gain d'efficience par des transferts de compétences et la télémédecine. En langage décodé, cela veut dire faire faire à des infirmières ce qui relève actuellement de la compétence des médecins, sans les payer plus ... sinon, il y aurait peut être gain d'efficacité, en évitant des déplacements, mais certainement pas d'efficience qui suppose de faire des économies !
- il faut une soutenabilité financière ! J'en ai déjà dit un mot en introduction : c'est un parti pris qui commande tout le reste et là je n'écrirais pas "on le sait !" mais : c'est faux ! Ne me faites pas le procès de ne pas avoir développé ce point ici : pour être complet cela demande quelques développements que vous pouvez trouver ailleurs et par exemple dans ce document du PCF à retrouver en cliquant ici.
Fataliste sur la nécessaire réduction des dépenses de santé, le COS aborde aussi la question des complémentaires, sans faire de différence entre assurance privée et mutuelle ... et sans un mot pour le régime local d'Alsace Moselle, ce qui est quand même étonnant dans un document de l'ARS du Grand Est. Y-a-t-il eu copier/coller du COS d'une autre ARS ? Encore un parti pris, avec la volonté affichée d'une complémentaire santé pour tous (privée ?) alors que la volonté d'aller vers le 100% sécu serait quand même plus intéressant ! Vous pouvez retrouver aussi des éléments sur le 100% sécu dans le document dont j'ai indiqué ci-dessus le lien.
Je passe vite sur les deux derniers chapitres de cet état des lieux, consacrés l'un à l'amélioration de la qualité et de la pertinence des prises en charge et l'autre aux usagers : à part quelques redites lourdes de menaces (mais on les retrouve ailleurs), c'est surtout du blablabla.
La deuxième partie du COS, consacrée aux points saillants du diagnostic du Grand Est, est très succincte, surtout faite d'allusions aux inégalités intrarégionales, sans précision. Cela ne serait pas grave si cela reposait sur un diagnostic complet. Mais alors que dans le temps, les DDASS et DRASS faisaient des études intéressantes sur l'état de santé des populations, rien de tout cela. L'ARS présente bien sur son site des diagnostics territoriaux, mais il ne s'agit que de la compilation de données démographiques fournies par l'INSEE et de données sur la démographie des professions de santé, rien sur l'état de santé de la population. Par exemple, pour le nord Ardenne (car, curieusement, cela a été fait par territoire de Groupement Hospitalier de Territoire) vous pouvez trouver ce document en cliquant ici. En tant qu'Ardennaise, la seule chose intéressante que j'ai trouvée dans cette partie du COS, c'est l'absence de plateforme de répit dans les Ardennes, alors qu'elles existent dans tous les autres départements du Grand Est. En espérant que cela dépasse la seule constatation !
Première orientation stratégique : faire évoluer le système de santé dans une logique de parcours, des parcours à toutes les sauces !
- à la sauce des personnes âgées ou en situation de handicap avec une longue série de préconisations et gages de bonnes intentions. Mais la seule phrase concrète que je vois dans ce chapitre est une menace pour le médicosocial : "Rééquilibrage territorial de l'offre lorsque cela est nécessaire". C'est à dire que la réponse à des besoins dans des territoires passerait par la suppression de la réponse dans d'autres ! Bonjour, le vivre ensemble dans le Grand Est ! L'ARS voudrait mettre en concurrence nos territoires !
- à la sauce de la prévention. Deux pages, sans citer le mot travail ! Comme si l'impact des conditions de travail sur la santé n'avait aucune importance !
- à la sauce du virage ambulatoire : là on rentre dans le dur de ce COS. Si effectivement l'évolution de certaines techniques permet plus de soins en ambulatoire, la rédaction même de ce chapitre, en parlant de l'hôpital avant de parler des soins de proximité traduit bien l'objectif financier et uniquement financier de l'ARS : diminuer les hospitalisations d'abord et les soins en ville finiront bien par s'adapter ! Mais à quel prix en terme de qualité pour les patients ? D'autant plus qu'en obligeant les hôpitaux à des objectifs chiffrés, le choix de l'ambulatoire n'est plus fonction de la personne concernée mais d'un chiffre ! J'ai d'ailleurs même entendu parler de personnes à qui on aurait refusé une intervention chirurgicale au prétexte qu'elles étaient seules, alors qu'il suffisait d'accepter de les garder le soir à l'hôpital ! Et le COS a une idée géniale : ne plus servir les hospitalisés dans leur chambre, mais faire des restaurants en self service : on imagine papy ou mamie avec ses cannes porter son plateau repas ! Sans parler de l'hôtel hospitalier, une manière de faire payer l'hébergement aux malades avec une discrimination scandaleuse entre ceux qui habitent les grandes villes et les autres, ceux qui ont de la famille et ceux qui sont seuls ou n'ont tout simplement pas envie de faire supporter leurs problèmes de santé à leurs enfants. Et avec des conséquences dramatiques pour les conditions de travail des personnels hospitaliers ! Car ce n'est pas la même chose de s'occuper d'un service de 30 malades dont certains pourraient éventuellement être sortis si leurs conditions sociales étaient différentes, et un service de 30 patients demandant beaucoup de soins : on a concentré la charge de travail sans augmenter le personnel et les tutelles s'étonnent que le personnel se plaigne de l'aggravation de ses conditions de travail.
Et face à la fermeture imposée de lits pour accélérer le développement de l'ambulatoire, que des belles paroles pour le développement des soins de ville, sans proposition véritable d'actions ! Sauf des menaces pour casser la proximité. Je cite : "L'offre sera organisée sur des territoires de proximité, regroupant souvent plusieurs bassins de vie"
- à la sauce de la langue de bois : admirez la phraséologie. Le titre de l'objectif stratégique n°4 c'est " Fluidifier les parcours de santé en développant l’intégration et la coordination des acteurs". Sauf que les belles paroles ne suffisent pas et parler d'obligation d'une lettre de liaison remise au patient lors de sa sortie de l'hôpital et adressée au médecin traitant le jour même de la sortie, c'est bien mal connaître les raisons pour lequel ce n'est pas fait : tout simplement, on a supprimé des postes de secrétaires dans les hôpitaux et le retard s'accumule !
- à la sauce de l'hôpital de demain et cela passe pour l'ARS par les partenariats public/privé ! La marchandisation de la santé un peu plus en route donc !
- à la sauce de l'efficience : nous y voilà ! C'est bien emballé, la réduction des dépenses en diminuant les durées d'hospitalisation, les frais de transports sanitaires (remarquablement contradictoire avec la fermeture de services et le développement de l'ambulatoire, multipliant les consultations de suivi ... mais l'ARS n'est pas à une contradiction près !), les médicaments ...
Deuxième orientation stratégique : agir sur la démographie et la formation des professionnels de santé
Pour être sur de ne rien changer, l'ARS affirme tout de suite que l'unique vision de l'augmentation du numerus-clausus est une vision trop restrictive, ce qui est vrai, mais ne doit pas être une raison pour ne pas supprimer le numerus-clausus, sauf à vouloir ne jamais régler la question ou à vouloir la surmonter, non par le haut, mais par le bas.
Car la première solution proposée, c'est d'accompagner la mutation des métiers de la santé et le document s'épanche sur les nouveaux métiers, un intermédiaire entre l'infirmière et le médecin ... Sauf que ce que l'on voit dans la réalité, c'est l'augmentation des responsabilités données à des personnels soignants, sans la reconnaissance financière, et, trop souvent, avec une formation succincte, sans la "culture générale" leur permettant de replacer l'acte fait dans le processus complexe qu'est le soin d'un malade, toujours différent du précédent ou du suivant.
Je vous passe le deuxième objectif stratégique de ce chapitre : il faut faire de la prospective. Depuis le temps qu'on le dit, on peut s'étonner d'en être toujours aux déclarations d'intention, mais c'est vrai que faire de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans un hôpital, cela supposerait une stratégie dans la durée et pas de s'amuser à fermer des lits au fur et à mesure des injonctions de l'ARS et des changements de tarification sans lien avec les besoins de la population. Rien de bien intéressant dans le troisième non plus : l'ARS ignore même la possibilité d'impulser la création de centres de santé, permettant à des jeunes médecins généralistes d'être salariés, ce à quoi aspirent beaucoup !
Troisième orientation stratégique : promouvoir les outils et usages du numérique en santé
Il faudrait favoriser l'appropriation des outils et usages par les professionnels et les patients, avec ce constat, du reste fort vrai, c'est que "le numérique reste considéré par nombre de professionnels comme une contrainte supplémentaire" et suit un conseil également fort juste : "la coconstruction avec les utilisateurs est une modalité à privilégier", sauf que la réalité est fort différente et pour deux raisons, la première, c'est l'absence de toute véritable stratégie de développement public de logiciels libres, pouvant s'adapter aux besoins, et pourtant le nombre d'hôpitaux en France aurait pu permettre un développement de qualité, mais sauf quelques exceptions, on a préféré s'adresser à des sociétés privées, avec comme conséquence des logiciels non adaptés aux besoins et la seconde, c'est que l'on a rajouté des éléments de flicage des personnels. Alors, évidemment, devoir regarder la tablette ou l'ordinateur, plutôt que le malade, personne n'en veut !
Faisons le tri dans ce qui est utile et ce qui ne l'est pas avant d'aller plus loin, avant de promouvoir un environnement de travail unique pour les professionnels de santé comme l'affirme l'objectif stratégique suivant pour, in fine, je cite, "créer un sentiment d'appartenance au système régional de santé". A l'heure des coopérations transfrontalières, voilà que les rapports avec les populations (patients et personnels de santé) de Hirson ou de Château Thierry ne seraient plus les mêmes que ceux avec celles du Grand Est. Sans commentaires.
Cette partie du COS se termine sur le développement voulu de la télémédecine. Sans une réflexion poussée sur les possibilités nouvelles offertes par les technologies du numérique et les besoins des populations et à vouloir développer le numérique, parce que ça fait bien et que peut être il y a quelques économies à faire, on va droit dans le mur ... de la déshumanisation. Avec une inquiétude supplémentaire : le grand "libéralisme" de cette partie du document aurait-il vocation à susciter des initiatives privées, histoire de mettre un peu plus en difficulté les hôpitaux, face à la marchandisation de la santé ?
En conclusion, le document nous indique le plan du schéma régional de santé (à suivre donc !) et les partenariats, en valorisant ce qui a été fait dans les contrats locaux de santé. Faut il tant valoriser que cela ? Dans la Pointe des Ardennes, la responsable d'une association qui s'était beaucoup impliquée dans l'écriture de ce contrat me disait récemment qu'elle n'avait pas de nouvelles depuis la signature il y a plus d'un an maintenant !


(1) "D’après des travaux nationaux de 2008 relatifs à l’impact du vieillissement sur les structures de soins à l’horizon 2030, le scénario prenant en compte, à dire d’experts, l'évolution de l'incidence des différentes pathologies sous l’effet des politiques de prévention ou des évolutions techniques prévisibles, l'évolution de la demande sociale et le développement de modes de prise en charge innovants, aboutirait à l’augmentation du nombre de séjours un peu plus forte en raison de l'hypothèse faite d’un recours plus important à l'hôpital pour certains patients pas forcément pris en charge aujourd'hui.
Cependant, la façon dont cette prise en charge s'organise doit pouvoir conduire à un raccourcissement des hospitalisations conventionnelles et à une augmentation de la part de prise en charge en ambulatoire. L’étude prospective indique qu’il existe des marges d’action importantes et que le vieillissement de la population ne conduit pas inéluctablement à augmenter l’offre hospitalière en médecine et chirurgie, même s’il est probable que les patients âgés les plus fragiles nécessiteront toujours une prise en charge par des structures hospitalières lourdes. Tout cela n’est possible que si des structures alternatives favorisant les prises en charge à domicile, en ambulatoire ou d’aval se développent."
Catégories : Ardennes, Champagne Ardenne, santé et protection sociale Lien permanent 0 commentaire

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