Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Rapport Libault - suite - analyse succincte des propositions

Dans la suite de mon précédent article (à retrouver en cliquant ici), voici une analyse à la fois sans doute trop longue à lire, mais qui reste trop succincte des propositions du rapport : d’autres auraient mérité d’être commentées : au-delà d’un discours semblant répondre aux attentes, l'imprégnation par l'idéologie libérale est constante, plus ou moins masquée.

La première proposition est symbolique : il faut lancer une campagne nationale de sensibilisation au grand âge. Mais la communication est aussi l’objet principal des proposition 72, 116 et apparaît dans d’autres. La communication ne réglera pas la gravité de la situation actuelle !
Toute la première partie des propositions veut porter un « nouveau regard sur le grand âge ». C’est vrai qu’il y a besoin de belles paroles pour faire oublier que le but n’est pas de faire société, mais simplement de faire semblant de répondre à la demande populaire. La présence du ministre chargé des transports et de celui chargé du logement au conseil d’administration de la Caisse Nationale de la Santé et de l'Autonomie (CNSA) - proposition 6 - renforcera simplement le pouvoir du gouvernement. L’amélioration de l’accessibilité est plus incertaine d’autant que la proposition 9 propose rien moins que l’introduction d’un critère d’âge dans les assurances logement pour introduire une garantie « adaptation du logement ». Encore une dépense supplémentaire pour les retraités, indépendante de leur niveau de vie !
Les propositions 22 à 37 concernent les proches aidants. Deux d’entre elles proposent des solutions par les assurances privées :
- inclure dans les assurances collectives d’entreprise une couverture des aidants salariés contre les pertes de salaire ;
- généraliser les services aux proches aidants dans le cadre des contrats d’assurance dépendance individuels. Pour l’auteur du rapport, cela pourrait renforcer l’attractivité de l’assurance privée ! Ou comment arriver à l’assurance privée par la culpabilisation des personnes âgées vis à vis de leurs enfants susceptibles de devenir aidant !
Les propositions d’affichage sont multipliées, comme celle de mobiliser la médecine du travail, pourtant en grande difficulté actuellement.
L’indemnisation du proche aidant est proposée au conditionnel, accompagnée de beaucoup d’interrogations semblant indiquer que cela n’a pas été la proposition la plus travaillée du rapport. D’autres propositions font appel à la bonne volonté des entreprises, leur « responsabilité » sociale et cette partie du rapport se termine sur un appel au bénévolat.
Le deuxième volet des propositions veut mettre « l’autonomie de la personne âgée au cœur du dispositif », c’est à dire privilégier le domicile et investir dans la prévention. Le principe affiché de libre choix de la personne âgée s’annonce bon. Le contenu n’est pas à la hauteur de cette ambition ! Passons sur la proposition 64, l’évolution de la sémantique. Appeler les EHPAD des « Maisons de grand âge » n’en changera pas le contenu. Il y a quelques années, c’étaient des maisons de retraite. Cette partie se termine par la demande d’un nouvel équilibre entre liberté et sécurité dans les EHPAD, pure bonne intention en l’absence d’analyse des raisons des excès sécuritaires. Aussi vides sont les nombreuses propositions visant à la qualité, labellisation, intervention de la HAS, des ARS, toutes particulièrement vaines en l’absence de contrôle démocratique, un grand absent du rapport.
D’autres propositions de ce volet sont heureusement plus concrètes, mais bien insuffisantes. Pour les services d’accompagnement et d’aide à domicile (SAAD), c’est une réforme à minima du financement qui est proposée, estimée à 400M€, tout en leur en demandant plus : faire de la coordination, de la prévention. Toute une série de propositions, de qualité inégale, vise à favoriser des solutions intermédiaires entre EHPAD et aide à domicile. Enfin, un plan de rénovation des EHPAD de 300M€ par an est proposé.
C’est aussi prévenir la perte d’autonomie pour augmenter l’espérance de vie sans incapacité. Cet axe regroupe seize propositions qui sont plutôt tournées vers le dépistage des premiers signes de la perte d’autonomie que vers une prévention primaire, faute d’analyse des causes de la perte d’autonomie : le report de l’âge de la retraite, multipliant l’usure par le travail, les difficultés financières, ne permettant pas les activités culturelles ou sportives, favorisant une mauvaise alimentation, les difficultés d’accès aux soins, avec les retards de prise en charge et le risque de séquelles aggravées … L’incantation de la fixation d’un objectif ambitieux de l’espérance de vie sans incapacité (proposition 69) ne peut suffire !
Troisième volet : les propositions 87 à 116 concernent la revalorisation des métiers à travers un plan national pour les métiers du grand âge. L’augmentation, très attendue, du nombre des personnels dans les EHPAD, est chiffrée à 25 % d’ici 2024, financée à 80 % par l’assurance maladie. La cohérence de cette proposition avec d’autres (le transfert du financement de la section soins à la CNSA ou le partage à 50/50 entre département et CNSA) interroge.
La proposition 88 ne fait que reprendre la proposition 38 sur le financement des SAAD. Mais on va travailler à l’évaluation du temps nécessaire à chaque intervention : le chronomètre du travail à la chaîne va entrer dans ces métiers, pourtant déjà si minutés et ne permettant pas la nécessaire relation humaine. L’introduction à l’objectif d’amélioration des conditions de travail des personnels en donne le ton : « Reconnaître l’utilité sociale des métiers de l’autonomie ne peut consister uniquement à valoriser les salaires des professionnels, ni à accroître les dotations des structures permettant d’augmenter leurs effectifs. » Evidemment, mais ce sont des conditions nécessaires ! Une norme minimale obligatoire d’indemnité kilométrique pour les personnels des SAAD ne peut être la seule mesure pour améliorer leurs revenus, même si elle est indispensable, même associée à une prise en compte des temps de concertation. Dans les EHPAD, rien pour les petites mains ! Le rapport propose juste d’introduire un nouveau niveau hiérarchique, même pas objet d’augmentation de salaire, simplement d’une prime, dont on peut se poser la question de son bénéfice dans la cohésion des équipes.
La proposition 95 se propose de réformer la taxe sur les salaires, accusée de favoriser la multiplication des temps partiels. Mais elle n’évoque pas l’absurdité de cette taxe consistant à verser de l’argent à l’État provenant de la Sécurité Sociale (en totalité pour les hôpitaux, en partie pour les EHPAD), c’est à dire à faire un hold up sur l’argent des assurés sociaux, un argent que l’État reverse depuis 2006 à la Sécurité Sociale, au titre des compensations pour les si nombreuses exonérations dont il décide. Mais cela reste un vol, puisque les compensations sont ainsi en réalité fictives.
Derrière un long discours prônant la formation pour améliorer la qualité des prises en charge des personnes âgées se cache l’idéologie traditionnelle du libéralisme : des compétences plutôt que des savoirs et des qualifications. Certes les compétences sont nécessaires, mais les savoirs sont aussi ce qui permet de réfléchir à sa pratique, d’être citoyen dans son travail et les qualifications reconnues ont un lien plus étroit avec la feuille de paie que les simples compétences. Juste savoir appliquer les ordres donnés, c’est aussi le sens du développement voulu de l’apprentissage !
Ne pas reconnaître les qualifications ? Est ce cela qui justifie l’ignorance dans ce rapport des formations initiales que constituent le baccalauréat professionnel accompagnement, soins et services à la personne et celui services aux personnes et aux territoires du ministère de l’agriculture ? Comme le dit poliment un rapport ( à retrouver ici) paru en 2018, commandé par le ministère de l’agriculture au CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux), après avoir souligné la complémentarité entre Education Nationale et enseignement agricole  « l’articulation avec les certifications de travail social relevant du ministère des affaires sociales est plus complexe ». Nombre des titulaires de ces bacs vont repasser un diplôme de niveau V, en particulier celui d’aide-soignante ! Mais tous les espoirs sont permis, car la proposition 115 vise à créer une plate-forme nationale des métiers du grand âge.
Quatrième volet de propositions : mieux accompagner.
Passons sur la simplification des démarches, mais notons quand même l’une des propositions de cet objectif : « communiquer aux personnes âgées en perte d’autonomie le coût complet de leur accompagnement en faisant apparaître la prise en charge par la solidarité nationale ». C’est à dire que l’on va compliquer l’établissement et la lisibilité des factures des SAAD pour culpabiliser les personnes aidées !
Les propositions pour rénover les prestations à domicile et mieux les articuler avec celles qui relèvent du handicap nécessiteraient des exemples de simulation. Pas sûr qu’une prestation à trois volets soit une simplification, ni que le but ne soit pas des économies par non consommation d’un volet ! Par contre il pourrait s’agir des prémices de la mise en œuvre d’une conception misérabiliste de la protection sociale, en particulier à l’adresse des personnes en situation de handicap.
L’objectif suivant est présenté comme la matérialisation de la perte d’autonomie comme d’un risque, alors qu’elle n’est en rien un risque en soi, mais un état qui justifie la mise en œuvre de moyens et d’expertises divers pour assurer à un individu la poursuite de son existence dans la dignité. Encore un moyen de préparer au développement de la prise en charge assurantielle. La proposition de fusion tarifaire des sections soins et dépendance des EHPAD  doit sans doute être vue à cette lumière - faciliter le transfert du financement à l’assurance privée, plus compliquée avec des financements départementaux – que comme la volonté d’une prise en charge globale. Et la proposition 126 : « Mettre en place un « bouclier autonomie » pour les durées de résidence en établissement en GIR 1 et 2 supérieures à 4 ans. » permettrait, à terme, d’exonérer une assurance privée « dépendance » du financement du risque lourd, lui, laissé à la collectivité ! Le progrès que cette mesure semble afficher masque aussi l’insuffisance de la solidarité et le frein moral qui va subsister pour les personnes âgées à une entrée en établissement restant financée par les enfants !
La proposition 127 prévoyant un financement partagé 50/50 entre départements et CNSA des nouvelles dépenses relatives à la perte d’autonomie manque de simulation sur les conséquences financières pour les départements et paraît peu cohérente avec d’autres propositions. Mais surtout elle est une attaque à l’autonomie des collectivités en faisant payer aux départements des dépenses sur lesquelles ils n’auraient pas leur mot à dire. Il en est de même de la proposition 129, visant à harmoniser les pratiques des départements en matière d’aide sociale à l’hébergement, même si la volonté d’aller vers la suppression de l’obligation alimentaire en commençant par les petits enfants est une bonne mesure.
Mieux accompagner, c’est aussi assurer une continuité de prise en charge et mettre un terme aux réponses en silos. Le premier objectif « Éviter toute rupture de parcours pour les personnes âgées et engager l’ensemble des acteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux dans un décloisonnement de leurs interventions » ressemble tristement aux objectifs de parcours pour les maladies chroniques : bonnes intentions, irréalisables en l’absence de service public, sauf à se précipiter dans un danger majeur de prises en charge à deux ou trois vitesses par l’irruption des assurances privées sur ce « marché ».
Les propositions 141 et 142 ont au coeur « le souci d’éviter l’hospitalisation de la personne âgée. » En phase avec le plan Masanté 2022, il s’agit de répondre à la crise de l’hôpital, non en lui donnant les moyens de répondre aux besoins, mais en le vidant. Ce n’est pas l’hôpital, ce ne sont pas les services d’urgence qui sont nuisibles aux personnes âgées quand elles en ont besoin, ce sont les attentes, le manque de personnel … Il est caricatural de demander aux pompiers, comme le fait ce rapport, d’être impliqués dans l’orientation vers les dispositifs adéquats. La proposition 145 confirme les intuitions à la lecture de la stratégie nationale de santé : la mission essentielle donnée aux hôpitaux de proximité de prendre en charge les personnes âgées avec « un plateau technique minimal » pour limiter au maximum leur accès à des soins plus spécialisés. On n’ose penser au temps et à la persuasion que devra dépenser un médecin de cet hôpital pour convaincre le confrère d’un service spécialisé, surchargé, de prendre en charge une personne âgée, d’autant plus que la proposition 150 veut instituer un malus pour réhospitalisation à moins de 30 jours !
Cinquième et dernier volet : « Un risque national à part entière avec un partenariat territorial renouvelé »
La notion de risque a déjà été discuté ci-dessus. La prise en charge dans le cadre de la protection sociale décrite dans le rapport a les inconvénients de la gestion actuelle de la Sécurité Sociale, avec la proposition de fixation dans le cadre de la loi de financement de la Sécurité Sociale d’objectifs de dépense, sans aucun avantage, ni en terme de recettes, ni en terme de démocratie : la CNSA devrait avoir des compétences de pilotage financier « pour les moyens budgétaires alloués aux Conseils départementaux, ainsi que le pilotage de l’équité territoriale, sur la base d’un mécanisme contractuel. » Il n’est pas question de droit mais de contrat, sur une base très technocratique, niant de plus les élu.e.s départementaux !
Passons sur la recherche. Les propositions 158 et 159 pourraient être intéressantes, si elles n’étaient pas que des vœux pieux en l’absence de moyens financiers dédiés.
Quel financement pour ce « risque » ? C’est une solution incolore et inodore qui a été trouvée pour 2024 et les années suivantes : la poursuite du prélèvement de la CRDS (Contribution au Remboursement de la Dette Sociale), au-delà de l’extinction de la dette sociale amortie par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) pour laquelle cet impôt a été créé, sans doute en espérant l’habitude prise de ce prélèvement et l’oubli de la date promise de fin ! Cette solution a tout du miracle, en terme de communication, mais aussi en terme de ressources financières : le rapport l’estime à plus de 9 milliards d’€ en 2025, tellement que l’on pourrait en mettre de côté en prévision des évolutions démographiques, alors que la CRDS n’a rapporté que 7,4 Mds d’€ en 2018 selon un communiqué de la CADES du 3 avril 2019 (à retrouver ici). Quelle croissance économique en prévision à en croire ces chiffres !
Et d’ici 2024, la perte d’autonomie pourrait être financée par les excédents des caisses maladie et retraites : gare aux économies à venir dans les hôpitaux (et curieuse manière de prévenir la perte d’autonomie). On comprend mieux aussi l’urgence d’une réforme des retraites.
A défaut d’une vraie réflexion sur les conditions d’exercice d’un droit pour toutes et tous à la prévention de la perte d’autonomie et à sa compensation, sur les conditions aussi d’une  démocratie réelle, toute la partie du rapport consacrée au partenariat territorial relève du bavardage.
A suivre ... Prochain article avec des propositions pour une politique solidaire de la perte d'autonomie.
Catégories : santé et protection sociale Lien permanent 0 commentaire

Les commentaires sont fermés.