On n'en attendait pas moins de la Cour des
Comptes (CC) : elle propose des pistes d'économie. Disons que
c'est son boulot ! Mais comme cela devient monnaie courante, elle
outrepasse son rôle pour donner son avis sur des questions qui
relèvent du politique (au sens noble du terme), du débat citoyen
et du parlement ! Avec leurs œillères, les conseillers de la cour
des comptes ne semblent pas savoir ce que c'est que le service
public, ce que c'est qu'un centre de santé (la seule utilisation
de cette expression ne se trouve que dans le résumé d'un rapport
de la CNAMTS) ni la démocratie en santé et je reviendrai en
conclusion sur ce qui est proposé dans ce rapport dans ces aspects
les plus antidémocratiques.
Tout d'abord
trois constats que l'on
peut partager avec la Cour des Comptes pour en prendre acte. Même
si les solutions proposées par la Cour des Comptes vont à
l'encontre de l'intérêt des Français, le constat partagé montre
que les reproches faits par les communistes et plus généralement
par beaucoup de progressistes ont été entendus ; il n'y a plus
qu'à faire entendre les solutions et à lutter pour que les aspirations populaires ne soient pas détournées !
- Je cite le rapport de la Cour des Comptes : "
L’actuelle mixité de la couverture maladie,
partagée entre assurance maladie obligatoire et assurances
complémentaires, pose ainsi des questions très lourdes
d’inégalités dans l’accès aux soins, sans préjudice des
difficultés qui en résultent pour un pilotage plus efficient du
système de santé." Les chiffres donnés par la Cour des Comptes
font froid dans le dos : la France est au premier rang des grands
pays européens pour la part des dépenses de santé financée par les
assureurs complémentaires ! Regardez donc le graphique.
La
solution existe : celle que proposent les communistes et d'autres,
le
remboursement à 100% des soins prescrits
par la sécurité sociale et pour en savoir
plus, n'hésitez pas à lire ou relire mon article précédent.
Hélas, les remèdes de la CC sont eux toxiques : partage des
risques entre sécurité sociale et complémentaires (l'optique,
par exemple, serait pris en charge uniquement par les complémentaires)
ou même ce qu'elle ose appeler un bouclier sanitaire que je
qualifierais plutôt de bombardement austéritaire, les soins
n'étant plus pris en charge qu'au delà d'un certain seuil de
dépenses, y compris pour les Affections de Longue Durée (ALD).
- La Cour des Comptes revient également longuement sur le
côté pernicieux de la tarification à l'acte en
ville, à l'activité à l'hôpital et critique l'action des
précédents gouvernements, accusés de régulation des tarifs à la
petite semaine, dans le seul but de respect de l'ONDAM, sans
vision à long terme pour améliorer la qualité des prises en
charge. Dont acte. Malheureusement, les propositions ne sont pas
de financer pour
permettra la satisfaction
des besoins de la population, mais on retrouve dans ce
rapport de la CC, comme dans le PLFSS 2018 (projet de loi de
financement de la Sécurité Sociale) ou dans la Stratégie Nationale
de Santé rendue publique par la ministre il y a quelques semaines, la volonté de s'appuyer sur le rejet massif de la
tarification à l'activité dans les hôpitaux pour mettre en place
de nouveaux modes de tarification tout aussi contraignants et sans
doute plus pervers encore, conditionnant des ressources nouvelles
à des "progrès" dans l'organisation et la "qualité" des soins. Les
écrits officiels sont beaux, mais en langage décodé, cela pourrait
par exemple être pour un hôpital une contractualisation permettant
d'accéder à des ressources financières nouvelles à condition de
diminuer sa durée d'hospitalisation, d'augmenter son taux de prise
en charge en ambulatoire, bref de moins s'occuper encore des
malades mais plus de son budget !
- Troisième constat de la CC :
la
multiplication des aides à l'installation des médecins,
sans grande efficacité sur une meilleure répartition des
professionnels. De fait, nous sommes dans une surenchère stérile
entre communes ou communauté de communes n'empêchant pas la
désertification de s'étendre dans les zones rurales et les
banlieues. Mais la CC ne fait que les propositions de replâtrage
de la droite ou du gouvernement (c'est à peu près pareil !). Pas
un mot sur le numerus clausus, sauf pour dire qu'il est détourné
par l'arrivée de médecins étrangers et je cite :
"Il est pourtant
impératif de réguler les flux démographiques des professionnels,
en vue d’adapter leurs effectifs aux besoins des populations
concernées et de maîtriser une dépense dont la croissance est très
supérieure à celle du PIB." Pas un mot non plus sur le
développement d'un service public de soins primaires ! La CC ne
connait pas les centres de santé. Même si la situation est
complexe, la
suppression du numerus clausus
(progressive, en association avec une augmentation des
possibilités de formation ) et le
développement
du service public, permettant aux jeunes professionnels
le salariat qu'ils plébiscitent, les nécessaires mobilités pour
couvrir l'ensemble du territoire, sont de nature à améliorer la
situation ! Ce serait aussi un atout précieux dans le
décloisonnement entre hospitalisation et soins ambulatoires et la
création de vrais parcours de soins (pas d'un nouvel instrument
financier comme le veut la CC : voir plus loin)
La Cour des comptes propose évidemment des
économies ! Dans ma précédente citation, la CC critiquait
une augmentation des dépenses supérieure à celle du PIB. Mais est
ce un drame si une société choisit d'utiliser l'augmentation du
PIB pour mieux se soigner, mieux éduquer ses jeunes, mieux vivre à
l'âge de la retraite ... plutôt qu'à favoriser les dépenses de
luxe des ultrariches et leur optimisation fiscale ? Le choix de
société de la CC n'est pas celui des communistes et témoigne de
son absence d'objectivité et de son adhésion à l'ultralibéralisme.
Amusons nous deux secondes de la comparaison avec l'Allemagne, si
souvent cité comme l'exemple à suivre : Avec 11% de son PIB
consacré aux dépenses de santé, la France est derrière l'Allemagne
(mais aussi les Etats Unis, connus pour leur mauvaise politique de
santé !). Cela n’empêche pas la CC de prendre plus loin dans le
rapport exemple chez nos voisins d'outre Rhin.
En vrac, j'ai relevé dans les propositions d'économies (mais ce
n'est pas exhaustif) :
- faire payer les patients en ALD : j'en ai déjà parlé ci-dessus.
- utiliser les départs en retraite prévus dans la fonction
publique hospitalière pour diminuer les effectifs
- adapter les tarifs en fonction des hôpitaux les plus
performants. Il s'agit là d'une logique dont on sait qu'elle
favorise les plus grosses structures, en contradiction avec la
nécessité d'hôpitaux de proximité.
- fermer des blocs opératoires : en utilisant le seuil de 1500
actes chirurgicaux par an, 148 blocs opératoires seraient fermés !
- transformer la tarification des urgences pour faire intervenir
la gravité des malades pris en charge et inciter à d'autres
solutions pour les urgences plus légères : une réforme qui serait
dramatique pour les services d'urgences des zones déjà
défavorisées par les pénuries de médecins généralistes ou la
situation sociale de leurs populations. Et ne parlons pas de la
présence ou non de services privés comme SOS médecins,
spécialistes de l'urgence en zone rentable !
- réduire les personnels des caisses d'assurance maladie, sans
égard aux faibles coûts de gestion de la sécurité sociale par
rapport aux complémentaires.
- tarifier aux parcours et à l'épisode de soins. Méfions nous
comme de la peste de cette intention qui parait louable, sortant
de la tarification à l'acte mais qui risque de ressembler à la
tarification à l'activité à l'hôpital, dont plus personne ne veut
! Tarif unique quel que soit le contexte d'affections associées ou
d'isolement social nécessitant davantage de prises en charge. Mais
plus dangereux encore que la tarification à l'activité de
l'hôpital. Car qui va assembler une courte hospitalisation, les
consultations du médecin généraliste, du spécialiste, la kiné, les
médicaments, l'infirmière à domicile ....et répartir le tarif
entre ces différents professionnels ? En l'absence d'une
politique volontaire de développement de centres de santé, d'un
service public de soins primaires en lien avec l'hôpital (et la
ministre ne semble pas en prendre le chemin), cela va être le
privé avec quelques profits au passage pour les cliniques privées
ou pour les assurances. Avec un risque majeur de parcours dont la qualité dépendrait du niveau de la complémentaire souscrite. Notons au passage que la Cour des Comptes
dit tout haut ce que d'autres pensent tout bas : les pratiques
avancées peuvent permettre de diminuer les coûts. Quel mépris pour
ces professionnels de santé. On reconnait leur faire faire une
partie du travail actuellement fait par des médecins en les payant
moins.
Passons aux propositions de la CC pour
réorganiser le système de santé
-
La prévention est à la mode dans
les discours officiels. Alors qu'il s'agit d'un sujet très
important, elle est, pour les tenants du capitalisme, dans les
discours et pas dans les actes, comme en témoigne la suppression
des CHSCT décidée par les ordonnances Macron et toujours tronquée
à la seule responsabilité individuelle. La CC est dans la droite
ligne de ces politiques culpabilisantes, plutôt qu'éducatives et
de véritable prévention primaire (amélioration de la qualité de
l'alimentation, de l'air, du travail ...). Mais elle est même
menaçante, évoquant la responsabilisation financière des patients.
-
La notion de service public est
totalement absente des réflexions de la CC ! J'ai déjà
parlé de son ignorance des centres de santé, mais elle veut aussi
supprimer encore davantage les distinctions entre hospitalisation
publique et privée en ouvrant les GHT aux structures privées et il
ne lui vient pas à l'idée qu'un pôle public des médicaments
mettant fin aux faramineux profits des laboratoires
pharmaceutiques serait source d'économies. Elle préfère la fausse
solution des génériques et s'en prendre à la marge des officines
pharmaceutiques : c'est toujours plus facile de s'en prendre aux
petits qu'aux gros !
-
la création d'une agence nationale de
santé. J'ai gardé le meilleur pour la fin, cette perle
technocratique et
antidémocratique.
La CC propose de réunir services du ministère de la santé et de
l'assurance maladie dans une agence nationale de santé, réunissant
les compétences de l'un et de l'autre, ayant autorité sur les ARS.
Le ministre définirait la stratégie nationale de santé, le cadre
financier à moyen et long terme et les technocrates de l'agence
nationale de santé seraient responsables de la mise en oeuvre
opérationnelle, définissant par exemple les leviers tarifaires. Ce
serait la fin de ce qui reste de démocratie à la sécurité sociale,
rendant impossible le retour à des élections et même une
limitation du rôle du parlement. Avec la HAS (Haute Autorité de
Santé) aux pratiques opaques, l'assemblage serait idéal, pour
mieux mettre la santé au service du grand capital !