Ou, quand la finance tient lieu de politique de santé !
Le directeur de l'ARS a saisi la cour des comptes (qui n'est plus régionale, mais de "Lorraine-Champagne Ardenne") au sujet de l'hôpital de Chaumont. Le rapport vient d'être publié, vous pouvez le trouver en cliquant ici.
Cette saisine dénote d'une volonté de s'abriter derrière un avis "expert" avant d'annoncer des décisions dont tout porte à penser qu'elles n'auront comme seul but que de réduire les dépenses, sans préoccupation pour la prise en charge des populations. Au mépris de la notion de service public, c'est l'entrée du privé à l'hôpital qui est annoncé et la fusion avec l'hôpital de Langres.
Cette saisine traduit aussi une évolution dans la justification des restructurations. Elles ne sont plus justifiées par la sécurité : les arguments développés dans les années précédentes ont été battus en brèche par les populations. La proximité fait partie de la sécurité, les infections nosocomiales (les infections que l'on attrape à l'hôpital) sont moins fréquentes dans les petites structures ...
L'affichage uniquement financier devient le leit motiv des restructurations : c'est déjà au nom de l'équilibre financier de l'hôpital qu'a été annoncé la fermeture de la maternité de Vitry le François.
Le rapport est à la hauteur de la commande par le directeur de l'ARS ! Les conseillers de la cour des comptes, qui a priori n'ont aucune compétence médicale, jugent de l'activité de l'hôpital, en fonction de ratios, sans la moindre référence évidemment au territoire concerné, et donnent des conseils !
La mise en cause de la direction de l'hôpital, de l'équipe médicale, sans savoir si les moyens leur ont été donnés de faire autrement, relève de la facilité : faire fonctionner des commissions nécessite que les médecins constituent une équipe pérenne et ne soient pas constamment dans l'urgence du travail quotidien. Et l'on ne peut reprocher au directeur de l'hôpital de ne pas avoir réglé la quadrature du cercle : avoir un budget équilibré.
La tutelle a été défaillante ! Il est particulièrement détestable que l'ARS ne décide d'intervenir dans la gestion qu'au moment où elle veut restructurer !
On peut s'interroger aussi sur la responsabilité du député, qui en tant que maire, a du être président du conseil d'administration de l'hôpital jusqu'en 2010, date de la suppression des conseils d'administration et de leur remplacement par des conseils de surveillance. Son opportunisme politique l'avait conduit à ne pas mettre en cause la politique gouvernementale avant 2012. Or l'endettement important de cet hôpital ne date pas d'aujourd'hui et si les mécanismes de fuite en avant d'emprunts pour rembourser les précédents emprunts sont bien décrits, les raisons de l'endettement initial ne sont pas indiquées. Et l'on sait comment on a poussé les hôpitaux à emprunter pour faire des travaux et investir, là où cela devrait relever de financements de la nation.
Le rapport de la cour des comptes est une parfaite analyse technocratique accumulant les arguments pour justifier ses conclusions : les commentaires sur la démographie médicale en Haute Marne sont particulièrement caractéristiques sans même pas une référence à la situation de fait particulièrement mauvaise de la région, simplement des indices indiquant que la Haute Marne est en dessous des moyennes nationales, sauf que c'est le cas de pratiquement tous les départements non siège d'hôpitaux universitaires qui concentrent les médecins !
L'analyse de l'activité est tout aussi technocratique : se contenter de constater la baisse de l'activité et le reprocher à l'hôpital sans se poser de questions sur la baisse démographique, sur le manque de médecins pouvant favoriser une part plus importante des hospitalisations dans le privé (ou à Troyes ou Dijon) et demander une augmentation de l'activité, c'est tout simplement souhaiter que les gens soient plus malades !
De fait, des indicateurs comme l'augmentation de la durée de séjour, à contre courant des évolutions actuelles, interpellent. Mais le reproche ne peut être fait sans analyse qualitative : quelles en sont les causes ? Un manque de médecins, expliquant que des décisions trainent ou un vieillissement de la population, voir un changement de répartition des prises en charge avec le secteur privé ? Reprocher aussi une trop faible part de chirurgie ambulatoire, sans tenir compte des caractéristiques propres du Sud Haut Marnais, sa population âgée, sa ruralité, les enfants partis travaillés au loin ... est tout aussi scandaleux.
A propos des dépenses de personnel, la direction de l'hôpital a manifestement plus oeuvré à la réduction des dépenses de personnel non médical qu'à celle du personnel médical et l'on pourrait même croire à un sursaut de bon sens de la cour des comptes quand elle recommande de ne pas aller plus loin dans la réduction du nombre des emplois non médicaux sauf que l'on découvre plus avant dans le rapport qu'elle conseille de toucher à leurs salaires en retravaillant le régime indemnitaire ! Les exemples donnés sur les dépenses de personnel médical témoigne d'un vraisemblable laisser aller, mais en ce qui concerne l'intérim, l'hôpital n'est pas seul responsable : la situation des "mercenaires" est dénoncée publiquement, mais aucune solution nationale n'a été proposée ! Et le salaire des médecins intérimaires, s'il est scandaleusement plus élevé que celui de ceux qui ont fait le choix du service public, reste bien inférieur à celui de nombre de médecins travaillant dans les cliniques privées !
La cour des comptes ne se contente pas d'analyser les comptes : elle y va de ses solutions, la coopération avec les hôpitaux voisins, mais surtout avec la clinique privée dans un projet de partage des tâches purement comptable et une négation parfaite de la notion de service public ! Quand quelque chose n'est pas bon pour le service public, on en redemande, semble être la devise, puisque le bilan fait du groupement de coopération sanitaire "cancérologie", c'est qu'il a entraîné une perte financière pour l'hôpital de Chaumont avec, je cite le rapport : "Un transfert de charges est ainsi opéré entre un établissement public et un groupement composé en partie de personnes morales de droit privé"!
Quand on veut tuer son chien, on l'accuse de la rage ! C'est sans doute la devise de la cour des comptes, à la suite de l'ARS qui a déjà fermé la réanimation au prétexte que le personnel n'y était pas suffisant, plutôt que de lui donner les moyens de fonctionner !
Bref, conforté dans sa place par la ministre socialiste Touraine, le directeur de l'ARS n'a plus qu'un mot à la bouche : les comptes, là où c'est l'humain qui est en jeu. Et c'est avec la cour des comptes qu'il tisse la toile d'araignée pour réduire les possibilités de se soigner dans le Sud Haut Marnais en faisant annoncer la coopération avec l'hôpital de Langres et l'on sait ce que veut dire le mot coopération dans leurs bouches et en faisant la part belle à ceux qui marchandent leurs soins.