Ou comment retourner à son profit ce qui aurait pu être une avancée sociale, avec la complicité du gouvernement et de son allié syndical !
Quelques mots d'introduction : l'accord national interprofessionnel du 14/12/2013 a été le résultat d'un marchandage : le compte personnel de formation (CPF), avancée sociale, en échange de la suppression de l'obligation de financement de la formation. C'est un accord que la CGT n'avait, à juste titre, pas paraphé.
Le compte personnel de formation est un progrès indéniable par rapport au Droit Individuel à la Formation, en particulier parce qu'il est transférable, suivant la personne tout au long de sa vie professionnelle, même s'il change d'entreprise, a plusieurs employeurs est à temps partiel ou demandeur d'emploi. Pour éviter les formations bidons, et garantir la qualité, le choix effectué par les organisations patronales et syndicales signataires de l'ANI a été de créer des listes de formation certifiante ou qualifiante : l'utilisation du CPF ne peut se faire que dans ce cadre. Ce choix m'a interrogé dès le début, mais pourquoi pas ?
Corollaire de cet accord, des modifications conséquentes du mode de financement de la formation. J'ai entendu un représentant du MEDEF les résumer ainsi : c'est "passer de l'obligation de financer à l'obligation de former, donc à la liberté d'investir". D'investir pourquoi ? Sans commentaire ! La CGT a, elle, estimé à quelques 4 milliards d'euros la baisse des ressources consacrées à la formation dans notre pays. Alors, évidemment, on peut brocarder quelques formations "vacances" de cadres. Comme dans tout système, les dérives doivent être combattues mais elles ne doivent pas masquer la réalité : la majorité des formations destinées aux cadres sont nécessaires et l'indispensable effort à faire pour former les moins qualifiés ne peut se faire en opposant les salariés les uns aux autres, mais bien en augmentant le budget global de la formation professionnelle dans notre pays. Il est baissé ! C'est inconcevable dans notre société qui bouge de plus en plus vite, nécessitant, pour tous, des découvertes nouvelles, l'apprentissage de nouveaux savoirs. Pour couronner l'ensemble, une "gouvernance" avec des pouvoirs nouveaux donnés aux "partenaires sociaux", comme celui d'élaborer les listes du CPF, de quoi faire rêver les vendeurs d'illusions de la cogestion. Cela ne change rien aux rapports dans l'entreprise et ne donne pas les droits nouveaux qui seraient nécessaires aux salariés pour pouvoir intervenir dans la gestion de leur entreprise !
Tout cela a été traduit dans la loi du 5 mars 2014. Où en sommes nous un an plus tard ?
Comme sur la reforme, que je n'ai que survolé - rien que sur le CPF, j'ai omis tant d'éléments fondamentaux - je ne vais vous donner que deux points illustrant mon titre, juste sur l'élaboration des listes des formations accessibles au CPF. C'est une usine à gaz technique et je vous fais grâce de la multiplicité des listes, nationales, de branche, régionales pour les salariés ou pour les demandeurs d'emploi. Le MEDEF y a mis les moyens, avec l'aide de sa branche "formation", la FFP, ce qui lui donne un avantage net vis à vis ds autres organisations, en particulier syndicales, divisées, d'autant plus que la CFDT est prête à toutes les concessions pour démontrer que cette nouvelle "gouvernance" est bien, qu'il est possible de s'entendre avec le patronat, voir (et ceci sans mettre en cause ses militants de base, sans doute bien loin de ces négociations) pour le simple plaisir d'un pouvoir nouveau.
Premier résultat et inquiétude : les formations listées sont concentrées sur les besoins immédiats du MEDEF ! Si on peut concevoir que pour un demandeur d'emploi, il est essentiel de trouver un emploi à la fin de la formation pour se sortir de la spirale de l'exclusion sociale, et s'il est plus facile de trouver un emploi dans certains secteurs que dans d'autres, il existe cependant des départs à la retraite dans toutes les branches et donc une diversité d'emplois possibles, en dehors des branches où le MEDEF est le plus influent et les profits immédiats les plus élevés. C'est encore plus dramatique pour les salariés. Le MEDEF a réussi à transformer un droit individuel à la formation en une soumission à ses intérêts immédiats, privant les salariés de la possibilité d'une formation émancipatrice, privant aussi l'économie française d'innovation ! Le nombre élevé de formations de niveau supérieur dans la première liste nationale parue a été relevé, donné comme un indicateur, qu'une fois de plus cette réforme ne bénéficierait qu'à ceux qui sont déjà le plus formés. Il s'agit là d'un raccourci ne posant pas les bonnes questions. La capacité de cette réforme à aller vers les moins qualifiés dépend d'autres choses, en particulier de la mise en place effective du conseil en évolution professionnelle - j'y reviendrai dans un autre article sur ce blog. La multiplicité des formations proposées, à tout niveau, est en effet seule garante qu'il s'agit bien de l'initiative individuelle des salariés, pas de l'intérêt déguisé du patronat, intérêt, je le répète, immédiat et contraire à une vision d'un développement économique nouveau, répondant aux besoins des populations et aux enjeux environnementaux.
Ma deuxième inquiétude concerne, pour un même métier, le choix de la qualification ou des qualifications retenues dans les listes. Difficile de s'y retrouver dans la multiplicité des listes, mais on n'y voit pas forcément les titres professionnels du ministère du travail, dont on sait qu'ils sont préparés essentiellement par l'AFPA. Cela semble plus facile de retrouver les CQP, certificats de qualification professionnelle, préparés surtout dans les organismes de formation dépendant du patronat. Serait-ce la nouvelle technique trouvée par le patronat pour tuer l'AFPA et essayer de se faire un peu de fric sur la formation aussi ? Sans parler d'éventuelles conséquences sur les salaires !
En cliquant ici vous pouvez télécharger la liste des formations éligibles au CPF à la date du 2 mars 2015, telle qu'elle est sur le site du FPSPP. Cette liste est prévue pour être évolutive.
Et malgré mes critiques, je ne saurais que vous encourager à utiliser votre compte personnel de formation. En cliquant ici, vous vous trouverez sur le site dédié. Et n'hésitez pas à dire haut et fort tous les freins à l'utilisation de ce compte !