Dernière chronique en ce 31 août et sans doute
la moins concrète, mais il me paraît nécessaire de parler de la
recomposition idéologique au service du capital, une recomposition
au long cours, mais qui s'est particulièrement traduite dans les
faits dans notre pays au cours des derniers mois.
Commençons par le rejet des élites, le dégagisme, mélangeant les grands patrons, les élus, les journalistes, faiseurs d'opinions ...dans un flou artistique qui peut aussi englober des artistes, des sportifs, des intellectuels ... en fait tous ceux qui n'ont pas de difficultés de fin de mois et/ou ont une fonction leur conférant peu ou prou d'autorité. C'est si simple de donner des boucs émissaires à toutes les victimes de la crise économique, à tous les opprimés du capitalisme : pour le FN, ce sont les étrangers, pour d'autres populistes, se disant de gauche, ce sont les élites sans plus d'analyse, en jouant un jeu dangereux d'amalgame.
C'est d'autant plus facile, que de fait, le capitalisme doit sa survie à l'imbrication des élites, aux liens étroits entre politique et monde économique, médias ... Comme je le disais dans mon précédent article, la démocratie n'est plus censitaire et le capitalisme a du s'adapter pour faire passer ses idées à travers une emprise idéologique et en travaillant l'"entre-soi", en plaçant ses pions partout, en fermant l'accès aux savoirs les plus complexes à ceux qui ne sont pas issus des rangs de la bourgeoisie, en embrigadant ceux qui malgré tout s'immiscent dans leur sphère bien gardée. Lisez donc les livres de Michel et Monique Pinçon si vous doutez de la réalité de cette bourgeoisie. Et le succès de L'amie prodigieuse d'Elena Ferrante témoigne à quel point beaucoup se retrouvent dans cette héroïne, qui malgré un brillant parcours universitaire, alors qu'elle était issue d'un milieu très populaire, ne se sent pas intégrée parmi les intellectuels qu'elle côtoie, d'autant plus qu'elle est une femme : il s'agit d'un roman féministe, mais pas que ; il témoigne aussi des barrières qui entourent l'élite intellectuelle, et pas seulement en Italie !
Mais c'est aussi de plus en plus faux ! Car si l'engagement d'intellectuels dans le camps des progressistes ne date pas d'aujourd'hui, ils sont de plus en plus nombreux au côté des classes populaires, souvent d'ailleurs pour des raisons objectives, liées à la précarité de leur vie ; de plus en plus nombreux, car même si la démocratisation de l'école est un échec - je vais y revenir ci-dessous - la massification de l'université permet à de plus en plus de jeunes, issus de milieu populaire, d'atteindre un haut niveau intellectuel. L'entre soi de la bourgeoisie, s'appuyant sur des médias pour la plupart sous domination du grand capital financier, lui permet malheureusement encore de choisir ses "experts" officiels, avec de fait, une réussite idéologique par rapport à la période des trente glorieuses où les intellectuels avaient la réputation d'être engagés à gauche.
C'est aussi très dangereux car le rejet de l'oligarchie se confond si facilement, dans la tête de ceux qui voient cela d'un peu loin, avec le rejet de la politique, mettant dans le même panier les élus, quelqu'ils soient, avec le rejet des fonctionnaires - Allègre avait bien commencé, avec les enseignants, en parlant de dégraisser le mammouth - avec des doutes systématiques par rapport à des vérités scientifiques, etc ...
Mais c'est aussi très dangereux, car cet amalgame efface la réalité, celle de la lutte des classes, celle d'un système économique, le capitalisme, dont une petite minorité profite, en exploitant directement ou indirectement 99% de la population. Certes, la lutte contre le capitalisme est complexe : celui-ci se renouvelle constamment, utilisant de nouvelles formes d'oppression, comme l'uberisation, de nouvelles formes de domination idéologique, comme les algorithmes des réseaux sociaux ou des moteurs de recherche sur internet ou la séduction sur la réussite individuelle. Et précisément, cette complexité ne doit pas faire céder à la facilité.
C'est enfin totalement inefficace, car le but est bien l'émancipation humaine, politique, sociale, économique, culturelle ...avec une difficulté majeure : l'émancipation politique concrète - au delà de la démocratie formelle issue de la révolution française, et sans renier celle ci : elle est nécessaire pour la suite - a besoin d'émancipation sociale, économique, culturelle ... pour être réelle. Et l'émancipation sociale et économique a besoin d'émancipation politique, culturelle pour se construire ! Cette difficulté majeure, les forces de progrès ont su la dépasser dans les luttes avec des acquis non négligeables dans tous les domaines parce qu'elles ont su conjuguer luttes politiques, sociales, économiques, culturelles. La bourgeoisie n'est évidemment pas restée bras ballants et si par exemple elle a du accepter la scolarité obligatoire puis sa prolongation, le collège unique, elle a aussi réussi à faire intérioriser les inégalités culturelles : là où les ouvriers n'avaient pas eu accès à l'école - mais ceci laissait intact une envie de formation permanente - on veut maintenant faire croire aux jeunes des couches populaires qu'ils sont incapables d'accéder à des savoirs complexes par une école qui s'appuie trop sur les acquis culturels familiaux et pratique le tri.
Privilégier l'émancipation politique aux autres champs, c'est outre le fait que ce n'est que marcher dans les pas de la bourgeoisie, lui laisser le champ libre où déposer ses bombes à retardement et ne pas permettre de réunir les conditions d'une démocratie réelle.
C'est pourtant le choix du dégagisme, du "nous contre eux" - le nous pouvant même se résumer à ceux qui soutiennent la "ligne" -, du populisme soit disant de gauche.
Je dis "soit disant" car c'est tellement contradictoire avec les valeurs de gauche : c'est consubstantiellement le césarisme, que le César soit roi, monarque ou le dieu Jupiter !
Je pourrais continuer en disant comment le rejet des partis, des syndicats, c'est aussi le rejet de ses formes d'organisation que, dans leurs insuffisances, mais aussi dans leurs réussites, le peuple s'est donné pour s'émanciper, et beaucoup plus démocratiques que le césarisme.
Mais terminons... et avec une note d'actualité : la non prise en compte par le leader de la France Insoumise de l'appel à l'action de la CGT le 12 septembre contre les ordonnances de casse du droit du travail relève bien de sa négation des possibilités d'émancipation sociale. La seule lutte politique est une lutte tronquée qui ne peut conduire qu'a l'échec.
Commençons par le rejet des élites, le dégagisme, mélangeant les grands patrons, les élus, les journalistes, faiseurs d'opinions ...dans un flou artistique qui peut aussi englober des artistes, des sportifs, des intellectuels ... en fait tous ceux qui n'ont pas de difficultés de fin de mois et/ou ont une fonction leur conférant peu ou prou d'autorité. C'est si simple de donner des boucs émissaires à toutes les victimes de la crise économique, à tous les opprimés du capitalisme : pour le FN, ce sont les étrangers, pour d'autres populistes, se disant de gauche, ce sont les élites sans plus d'analyse, en jouant un jeu dangereux d'amalgame.
C'est d'autant plus facile, que de fait, le capitalisme doit sa survie à l'imbrication des élites, aux liens étroits entre politique et monde économique, médias ... Comme je le disais dans mon précédent article, la démocratie n'est plus censitaire et le capitalisme a du s'adapter pour faire passer ses idées à travers une emprise idéologique et en travaillant l'"entre-soi", en plaçant ses pions partout, en fermant l'accès aux savoirs les plus complexes à ceux qui ne sont pas issus des rangs de la bourgeoisie, en embrigadant ceux qui malgré tout s'immiscent dans leur sphère bien gardée. Lisez donc les livres de Michel et Monique Pinçon si vous doutez de la réalité de cette bourgeoisie. Et le succès de L'amie prodigieuse d'Elena Ferrante témoigne à quel point beaucoup se retrouvent dans cette héroïne, qui malgré un brillant parcours universitaire, alors qu'elle était issue d'un milieu très populaire, ne se sent pas intégrée parmi les intellectuels qu'elle côtoie, d'autant plus qu'elle est une femme : il s'agit d'un roman féministe, mais pas que ; il témoigne aussi des barrières qui entourent l'élite intellectuelle, et pas seulement en Italie !
Mais c'est aussi de plus en plus faux ! Car si l'engagement d'intellectuels dans le camps des progressistes ne date pas d'aujourd'hui, ils sont de plus en plus nombreux au côté des classes populaires, souvent d'ailleurs pour des raisons objectives, liées à la précarité de leur vie ; de plus en plus nombreux, car même si la démocratisation de l'école est un échec - je vais y revenir ci-dessous - la massification de l'université permet à de plus en plus de jeunes, issus de milieu populaire, d'atteindre un haut niveau intellectuel. L'entre soi de la bourgeoisie, s'appuyant sur des médias pour la plupart sous domination du grand capital financier, lui permet malheureusement encore de choisir ses "experts" officiels, avec de fait, une réussite idéologique par rapport à la période des trente glorieuses où les intellectuels avaient la réputation d'être engagés à gauche.
C'est aussi très dangereux car le rejet de l'oligarchie se confond si facilement, dans la tête de ceux qui voient cela d'un peu loin, avec le rejet de la politique, mettant dans le même panier les élus, quelqu'ils soient, avec le rejet des fonctionnaires - Allègre avait bien commencé, avec les enseignants, en parlant de dégraisser le mammouth - avec des doutes systématiques par rapport à des vérités scientifiques, etc ...
Mais c'est aussi très dangereux, car cet amalgame efface la réalité, celle de la lutte des classes, celle d'un système économique, le capitalisme, dont une petite minorité profite, en exploitant directement ou indirectement 99% de la population. Certes, la lutte contre le capitalisme est complexe : celui-ci se renouvelle constamment, utilisant de nouvelles formes d'oppression, comme l'uberisation, de nouvelles formes de domination idéologique, comme les algorithmes des réseaux sociaux ou des moteurs de recherche sur internet ou la séduction sur la réussite individuelle. Et précisément, cette complexité ne doit pas faire céder à la facilité.
C'est enfin totalement inefficace, car le but est bien l'émancipation humaine, politique, sociale, économique, culturelle ...avec une difficulté majeure : l'émancipation politique concrète - au delà de la démocratie formelle issue de la révolution française, et sans renier celle ci : elle est nécessaire pour la suite - a besoin d'émancipation sociale, économique, culturelle ... pour être réelle. Et l'émancipation sociale et économique a besoin d'émancipation politique, culturelle pour se construire ! Cette difficulté majeure, les forces de progrès ont su la dépasser dans les luttes avec des acquis non négligeables dans tous les domaines parce qu'elles ont su conjuguer luttes politiques, sociales, économiques, culturelles. La bourgeoisie n'est évidemment pas restée bras ballants et si par exemple elle a du accepter la scolarité obligatoire puis sa prolongation, le collège unique, elle a aussi réussi à faire intérioriser les inégalités culturelles : là où les ouvriers n'avaient pas eu accès à l'école - mais ceci laissait intact une envie de formation permanente - on veut maintenant faire croire aux jeunes des couches populaires qu'ils sont incapables d'accéder à des savoirs complexes par une école qui s'appuie trop sur les acquis culturels familiaux et pratique le tri.
Privilégier l'émancipation politique aux autres champs, c'est outre le fait que ce n'est que marcher dans les pas de la bourgeoisie, lui laisser le champ libre où déposer ses bombes à retardement et ne pas permettre de réunir les conditions d'une démocratie réelle.
C'est pourtant le choix du dégagisme, du "nous contre eux" - le nous pouvant même se résumer à ceux qui soutiennent la "ligne" -, du populisme soit disant de gauche.
Je dis "soit disant" car c'est tellement contradictoire avec les valeurs de gauche : c'est consubstantiellement le césarisme, que le César soit roi, monarque ou le dieu Jupiter !
Je pourrais continuer en disant comment le rejet des partis, des syndicats, c'est aussi le rejet de ses formes d'organisation que, dans leurs insuffisances, mais aussi dans leurs réussites, le peuple s'est donné pour s'émanciper, et beaucoup plus démocratiques que le césarisme.
Mais terminons... et avec une note d'actualité : la non prise en compte par le leader de la France Insoumise de l'appel à l'action de la CGT le 12 septembre contre les ordonnances de casse du droit du travail relève bien de sa négation des possibilités d'émancipation sociale. La seule lutte politique est une lutte tronquée qui ne peut conduire qu'a l'échec.