Le rapport sur les modes de financement et de
régulation du système de santé, récemment présenté par Jean-Marc
Aubert, directeur de la DREES fait l'objet de nombreux
commentaires de tous ceux qui sont, à juste titre, préoccupés par
les questions de santé. Il est accessible sur le site du ministère
de la santé en
cliquant
ici.
Sa première partie, présentant les
principes, nous fait rêver. Je reviendrai à la fin de cet
article sur la seconde partie, plus pratique. Privilégier la
qualité, privilégier la prévention, privilégier les soins
primaires, privilégier le maintien à domicile, développer une
prise en charge complète des patients, pour mettre fin aux
parcours du combattant de certains malades renvoyés d'un
professionnel à un autre ..., qui peut être contre !
Complétons ce rêve avec une sécurité sociale
remboursant à 100% les soins prescrits, un service public de
santé hospitalier et de soins primaires, autour de centres de
santé, ayant les moyens financiers et en personnels.
L'utopie est bonne : elle montre un chemin. Mais comme le disait
Jean Jaurès, "Il faut aller à l'idéal en passant par le réel".
Le réel semble méconnu des auteurs de ce
rapport, le réel de la vraie vie, celle que racontent les
gilets jaunes de la fermeture des services publics, obligeant à
des km et des km, celle que racontent les personnels de santé,
passant leur temps à faire le plus urgent et malades de tout ce
qu'ils n'ont pas le temps de faire ...
-
Sans une sécurité sociale à 100%, il y a un risque majeur
d'aggravation des inégalités sociales. Selon le niveau de
complémentaire choisi (en fonction de ses possibilités
financières) on pourra avoir le parcours minimum ou le parcours
grand luxe, avec rééducation autant que de besoin, aide à domicile
...
-
Sans un service public généralisé, il y aura encore les patients
dont se déchargera le privé, que l'hôpital essaiera de refiler au
voisin dans le cadre de la mise en concurrence des établissements.
Quelque soit la complexité des indicateurs (et la tarification à
l'activité a su en inventer de nombreux pour répondre aux
objections), il y aura toujours le malade qui ne rentre pas dans
les cases, un peu obèse, mais pas assez pour que cela soit un
facteur de risque reconnu, à la limite du diabète, de
l'hypertension, un cumul qui rajouté à un peu de dépression liée à
la perte du boulot ou à un drame familial rend évident un risque
majoré pour une intervention chirurgicale, mais pas quantifiable.
Car l'humain ne rentre pas dans des cases !
-
Sans moyens financiers et en personnels (des moyens pour les
payer, mais aussi pour en former en nombre), l'urgence prédominera
toujours sur la prévention, la demande d'un examen à l'hôpital,
pourtant déjà fait en ville, ira toujours plus vite que la
recherche des résultats de ces examens ...
Sauf à considérer que l'on ne soigne plus pour ne faire que de la
prévention - mais quelle serait l'éthique d'un tel choix ? -
l'évolution vers une médecine plus préventive fera faire des
économies à terme, mais à condition d'y mettre le paquet, c'est à
dire d'ouvrir des moyens nouveaux maintenant, sinon, ce sont à la
fois les soins et la prévention qui seront mal faits et la
situation actuelle va encore s'aggraver.
Le rêve de ce rapport est contredit par les
décisions déjà annoncées.
Le 100% sécu, seul à même de lutter contre les inégalités, tout en
facilitant un financement moins lié aux actes, aurait pu être mis
en oeuvre là où les Macron/Buzyn nous annoncent du zéro reste à
charge : l'optique, le dentaire, les appareils auditifs. Cela n'a
pas été leur choix !
Le service public est mis à mal par des projets, comme la réforme
du statut des médecins hospitaliers, prélude à la casse de la
fonction publique hospitalière. Ce n'est pas en faisant rentrer à
l'hôpital des médecins payés selon le mode libéral que l'on ira
vers la qualité plutôt que la quantité !
Le numérus clausus a été supprimé sans aucun objectif de nombre de
médecins formés. Et le secret des algorithmes de Parcoursup est
aussi absurde que l'était le concours du PACES.
Avant d'en venir à la deuxième partie de ce
rapport, j'ai envie de commenter deux communiqués de presse
récents :
- celui de l'
Association des Maires de France daté du 30 janvier
(à lire en
cliquant
ici) témoigne de l'inquiétude généralisée concernant
l'avenir du service hospitalier public : Allez le lire ! Tout
pourrait être cité. Je me contenterai de ce passage où le
communiqué demande "
de stopper toute fermeture de service
hospitalier public afin de favoriser un aménagement équilibré du
territoire" et "
de redonner aux élus locaux une place de décision
dans la gouvernance des hôpitaux."
- celui du
mouvement des centres de santé, dans un communiqué
commun à quatre signatures, également du 30 janvier (à lire en
cliquant
ici). Les centres de santé revendiquent depuis longtemps un
financement au forfait. Ils ont donc décidé de prendre la ministre
au mot et sont en négociation. Le résultat sera décisif pour la
crédibilité de la ministre. Si le résultat permet enfin aux
centres de santé de ne plus être étranglés financièrement, de ne
plus devoir solliciter des aides des collectivités (avec tout ce
que cela comporte d'inégalités territoriales) pour financer leurs
actions de prévention, alors on pourra espérer ! Notons toutefois
que la loi de financement de la Sécurité Sociale 2019 permet
l'exercice libéral dans des centres de santé. Nous sommes en
pleine contradiction entre les intentions affichées par la
ministre et la réalité des décisions.
La deuxième partie du rapport contredit les
bonnes intentions du début !
Allons tout de suite à la fin : sous le titre "
améliorer l'équité
et la crédibilité de la régulation de l'ONDAM",
il n'est évidemment pas question de l'augmenter. Pourtant seule
une augmentation substantielle de l'ONDAM (objectif national des
dépenses d'assurance maladie) peut permettre la transition
nécessaire vers plus de prévention, plus de coordination, en
attendant que ces mesures permettent des économies. Il s'agit
simplement de réguler aussi bien le sous-objectif "soins de ville"
que le sous-objectif "établissements de santé". On sait à quel
prix les hôpitaux ont été contraints de réduire leurs budgets.
Maintenant, il faut faire pareil pour les soins de ville, drôle de
manière d'aller vers moins d'hospitalisations ! Il est vrai que ce
sous-objectif comporte les indemnités journalières qui augmentent,
largement en rapport avec le report de l'âge de la retraite, mais
le gouvernement préfère ignorer cette réalité.
En ce qui concerne les
soins de ville,
le rapport propose le financement d'une infirmière ou assistante
médicale pour les regroupements de trois médecins libéraux au
moins. Ceci nécessite quelques remarques :
- "Infirmière ou assistante médicale" : quelle qualification
recouvre ce dernier terme ?
- "Médecins libéraux" : les centres de santé, fondés sur le
principe du salariat, sont donc exclus du dispositif.
- "au moins trois médecins" ; si l'évolution vers le regroupement
des médecins est légitime et recherchée par les jeunes, on ne peut
que s'inquiéter de l'abandon des médecins isolés, souvent les plus
vieux, souvent les seuls dans leur commune. Veut-on s'en
débarrasser, les pousser vers une retraite prématurée ... et
accroître les déserts médicaux ?
On peut aussi s'étonner que cela soit la seule proposition
concrète du rapport pour les soins primaires !
Venons en à l'
hôpital : cela commence
mal avec un critère de pertinence, un beau mot pour un but
inquiétant. Il s'agit de diminuer les financements, là où un acte
est pratiqué au delà de la moyenne nationale, comme si la moyenne
nationale était un bon indicateur alors que l'on sait que
certaines pathologies sont plus fréquentes dans certaines régions
que dans d'autres, que certains hôpitaux qui ont suivi les
conseils, se sont créés des pôles d'excellence dans certains
domaines, pouvant recruter au delà de leur région ...
Et ça continue avec un deuxième indicateur lui aussi indiscutable
dans le principe, la qualité. Sauf qu'en
l'absence de débat
démocratique sur ce qu'est un indicateur de qualité, l'inquiétude
est de rigueur. On a déjà vu comme indicateur cette absurdité : la
quantité de solutions hydroalcooliques achetées par un hôpital ...
sans garantie sur leur utilisation. Le temps passé par les
soignants à valider tous leurs faits et gestes sur l'ordinateur
n'est pas non plus un indicateur de qualité et mieux vaut oublier
un clic qu'un soin !
Le financement au forfait de maladies chroniques est pour
l'instant réservé au diabète et à l'insuffisance rénale. Le flou
qui entoure les modalités pratiques peut présager du meilleur
comme du pire. Comme pour le financement des centres de santé, la
ministre est attendue au tournant, comme en témoigne le communiqué
de la Fédération française des diabétiques (à lire en
cliquant
ici) : fierté d'être reconnus dans cette première
expérimentation, mais vigilance !
En ce qui concerne la
psychiatrie,
le rapport ne propose que la mutualisation de la pénurie ! Alors
que depuis cet été, les mouvements se multiplient dans les
hôpitaux psychiatriques pour réclamer des moyens, des actions
dures, comme à St Etienne du Rouvray ou à Amiens, que la
manifestation parisienne du 22 janvier a montré que malgré la
neige, c'est de toute la France qu'étaient venues des délégations
il ne s'agit que de moduler les dotations en fonction de la
population et du taux de précarité : prendre à Pierre pour donner
à Paul. Et ce n'est pas l'identification de la pédopsychiatrie, au
conditionnel d'ailleurs, qui améliorera les choses, s'il n'y a
pas, globalement, une augmentation du budget consacré à la
psychiatrie. Très ambiguë est la phrase sur la prise en compte des
taux de fuite. S'il s'agit de pénaliser les secteurs où des
patients vont se faire soigner ailleurs du fait des délais
d'attente, ce n'est pas la réduction du budget qui va améliorer
les délais ! L'introduction d'une part modulable en fonction de la
qualité est au conditionnel : c'est sans doute mieux, vu la
conception actuelle de la qualité en psychiatrie par les tutelles. C'est aussi contre cela que s'insurge le monde de la psychiatrie
comme en témoigne le nombre d'organisations signataires du
manifeste pour un printemps de la psychiatrie (vous pouvez lire ce
texte en
cliquant ici)
Quant aux
urgences revient cette
idée, devenue rengaine : réorienter les patients les plus légers
vers d'autres modes de prises en charge. Une idée saugrenue ou le
moyen d'alimenter des structures d'urgence privées, comme celle
qui s'est montée à Troyes avec des urgentistes qui ne voulaient
plus travailler la nuit et le dimanche !
Disons en conclusion que ce rapport, attendu, est très en dessous
des attentes. Si le discours est intéressant, ce sont les gestes,
passés ou à venir qui comptent. Changer la répartition de la
pénurie ne la supprime pas et le choix global du gouvernement de
moins de services publics, de moins de sécurité sociale appelle à
la plus grande vigilance sur les mises en oeuvre !