L'ARS a fini par diffuser son projet de plan de
performance pour les hôpitaux du Nord Ardenne, précisant bien
qu'il s'agit d'une version provisoire. Vous pouvez trouver ce
document en
cliquant
ici. Ce projet est inacceptable mais il est provisoire ...
raison de plus pour continuer la mobilisation !
Pour faciliter l'approche de ce document, je vais essayer d'en
détailler les principales mesures selon diverses approches : après
une introduction générale, j'aborderai ce plan du point de vue des
usagers et des personnels, puis par établissements et enfin par
filière de soins, sans être évidemment exhaustive, mais en prenant
les exemples les plus caractéristiques
Ce plan est purement économique,
réduisant la proximité pour la population
du Sedanais, de l'Yvois et de l'ouest meusien,
supprimant une centaine d'emplois sur
l'ensemble des hôpitaux du Groupement Hospitalier de Territoire
(Charleville-Mézières, Sedan, Fumay, Nouzonville, Belair). En
échange, il promet du vent, des possibilités nouvelles de soins
pour la population ardennaise ... s'il y a les recrutements
médicaux correspondants !
Il
préfigure une nouvelle organisation plus
centralisatrice encore, puisqu'il s'agirait d'un contrat
signé entre l'ARS et le GHT et non chacun des hôpitaux du
groupement, le GHT étant même désigné dans ce projet comme
"l'établissement".
La convention avec le CHU de Reims témoigne de
l'autoritarisme de la gestion actuelle (conséquence de la loi
Bachelot) : ce sont les chefs de pôles qui échangent avec les
coordonnateurs des filières des études médicales. Concrètement,
cela veut dire par exemple que c'est un gynécologue-obstétricien
qui va échanger avec le pédiatre coordonnateur des études de
pédiatrie. Comment ne pas être étonné du malaise des médecins, qui
n'ont pas leur mot à dire dans l'organisation de leur travail ?
La vision purement économique se
traduit magistralement dans les fiches en annexes. La création
d'une activité de coronarographie, par exemple, n'est étayée par
aucune donnée médicale, aucun recensement des besoins - ceci dit,
ce sera une fort bonne chose pour notre département s'il n'est
plus nécessaire de se rendre à Reims pour un tel examen. La seule
argumentation repose sur l'aspect économique : cette activité
rapporte !
On apprend au passage que les
frais
financiers de l'hôpital de
Charleville-Mézières se montent à 1,320 millions d'euros en 2017.
Quel scandale que d'obliger les hôpitaux à emprunter auprès des
banques privées ! A quand un vrai pôle public bancaire permettant
des prêts à taux zéro pour les services publics, en lien avec un
rôle de la Banque Centrale Européenne transformé au service des
peuples ?
La liste est longue des activités nouvelles
à moyens constants : des consultations de spécialités à
Sedan (quel médecin de Manchester a une demi-journée de libre
actuellement qu'il pourrait utiliser en allant à Sedan ?), des
lits de SSR en plus à Nouzonville, un lit de plus dans l'unité de
surveillance continue de Sedan ...
Pour faire passer la casse de l'hôpital de
Sedan, ce plan vend un peu de rêve : la liste est longue
des médecins que nos hôpitaux vont recruter pour assurer de
nouvelles activités (la coronarographie, l'unité de neuro
vasculaire aigüe ...). Mais il y a une contradiction entre ces
promesses et la réalité : la liste des postes vacants de
praticiens hospitaliers parue sur le site du Centre National de
Gestion pour le tour de recrutement de ce printemps ! Pas un seul
poste de radiologue par exemple, alors que le plan de performance annonce 4
postes à pouvoir immédiatement ! Un seul cardiologue alors qu'il
faudrait en créer 3 pour satisfaire aux obligations réglementaires
des soins continus de cardiologie, sans parler de la mise en place
de la cardiologie ... Le plan de performance évoque le lien avec
des cabinets de recrutement. Le choix aurait il été fait de
payer des cabinets de recrutement pour trouver des médecins
étrangers que l'on va pouvoir utiliser comme contractuels
sous-payés, plutôt que des titulaires ? Ou tout simplement cela va
permettre de dire qu'on ne peut pas parce qu'on n'a pas de
médecins !
De plus, la performance annoncée ne dépasse pas le simple cadre
financier ! Alors que les progrès médicaux permettent, de fait,
une réduction des durées d'hospitalisation,
rien
dans ce plan n'annonce de performance de qualité, facilitant le
lien entre soins à l'hôpital et en ville, la création de
parcours pour les malades chroniques ! Tout au plus il y
a recherche de moyens pour diminuer la durée d'hospitalisation
dans les services de soins aigüs en créant des lits de SSR (service de soins et de réadaptation),
bref, en prévoyant de se débarrasser de malades pas en état de
regagner leur domicile. Et du remplissage de pages avec le projet
de contrat local de santé avec l'agglomération de Coeur d'Ardenne.
On ne peut que s'étonner de la place particulière donnée à cette
zone, certes centrale, du bassin de population du GHT mais qui ne
le couvre pas totalement, loin de là ! Le renforcement du lien
ville/hôpital ne serait il pas aussi nécessaire dans l'Yvois, la
vallée de la Meuse ou la Thiérache ? Il ne suffit pas de faire de
l'incantation en la matière, regretter le taux très faible de
recours à l'hospitalisation à domicile, parler de cellule de
retour à domicile, sans en préciser les moyens, en secrétaires,
infirmières, assistantes sociales ..., évoquer la télémédecine
comme un mot magique (bien utilisée elle pourrait faciliter la
proximité, mais pour les décideurs actuels, elle a surtout pour
but de retirer de l'humain, si nécessaire pourtant !). Ce plan est
en fait passéiste. Il faut dire qu'en réduisant à la portion
congrue la possibilité de propositions des personnels médicaux et
paramédicaux, la gouvernance de ce plan s'est privée de la
richesse de la réflexion de ceux-ci.
Pour vous éviter de vous poser des questions, terminons cette
introduction en disant que si l
'hôpital
Belair est inclus dans l'introduction du document, rien
ensuite ne le concerne : sans doute valait il mieux pour l'ARS ne
pas risquer des critiques supplémentaires. On connaît toutes les
difficultés actuelles de cet hôpital, également soumis à des
restrictions budgétaires, au nom de la péréquation avec les autres
hôpitaux psychiatriques de la région.
Du point de vue des usagers ce plan a
trois conséquences :
La perte de proximité est majeure
pour les habitants de l'est du département : suppression du
service de chirurgie, alors qu'il n'y a pas forcément de
correspondance entre acte chirurgical demandant un équipement
lourd (justifiant qu'il soit fait dans l'hôpital support) et
nécessité d'une hospitalisation de plusieurs jours, d'autant plus
que cette dernière peut être justifiée dans certains cas par des
pathologies associées, plus fréquentes chez les personnes âgées,
qui ont tout particulièrement besoin du soutien de leur famille.
La maltraitance, le défaut de qualité
ne peut que s'accentuer avec les activités nouvelles à moyens
constants, les suppressions de postes de personnels. Ci-dessous
vous trouverez aussi quelques commentaires sur la réduction du
nombre de lits de surveillance continue.
Un impact financier : augmenter le
prix de la chambre particulière et le taux de recouvrement de
celles-ci touche directement au porte-monnaie des malades quand
ils n'ont pas de mutuelles ou que celle-ci ne prend pas en charge
la chambre particulière. Mais en fait, cela touche toute la
population, en augmentant les restes à charges pour les
complémentaires et donc en augmentant les cotisations ! Il s'agit
d'un transfert tout à fait scandaleux de charges de la sécurité
sociale vers les complémentaires.
Impact financier aussi avec la perte de proximité : on ne peut que
s'offusquer de la proposition de LREM d'un bus pour les patients
entre Sedan et Manchester, Comme pour les écoles fermées, ce bus
ne sera sans doute gratuit que le temps de faire oublier les
fermetures ! Et il ne règle pas les visites des familles.
Du point de vue des
personnels, personne ne fera croire que supprimer une centaine
de postes va vers une performance de qualité ! Les suppressions d'emploi touchent tous les
hôpitaux : Manchester, Sedan, Nouzonville, Fumay et même le
GCS (l'ancienne polyclinique). Elles concernent évidemment les
services supprimés, mais sont également dues à des
"optimisations" selon l'expression consacrée, au nivellement
par le bas de la gestion du temps de travail des personnels
dans les quatre hôpitaux et à l'externalisation d'une partie
du ménage et de la crèche du personnel. Le chiffrage exact des
postes est encore en cours sur Charleville-Mézières.
Sedan
est évidemment le plus attaqué par ce plan : fermeture du
service de chirurgie, de l'unité de soins intensifs de
cardiologie. Le devenir de la pédiatrie reste en suspend. En
page 3, le document parle de transfert sur
Charleville-Mézières, tandis que dans les annexes, en page 38
il s'agit de supprimer la moitié des lits.
L'avenir nécessaire de
la maternité de Sedan passe par le recrutement de médecins,
mais aussi par le maintien d'un environnement global
(pédiatrie, anesthésie, chirurgie). On ne connait que trop les
techniques utilisées par les ARS pour fermer à petit feu !
Charleville-Mézières
est le plus impacté par les suppressions d'emplois. Les
projets de nouvelles activités demandent toutes à être
confirmées par les moyens correspondants, en particulier
humains.
Nouzonville
est symbolique de ce plan : création de 4 lits supplémentaires
de SSR, à moyens constants. En vue maltraitance des malades et
des personnels, déjà en sous effectifs. Et déni complet de
démocratie : le maire, président du conseil de surveillance,
n'a pas été convié aux discussions du comité de pilotage.
Fumay,
comme les autres, est victime d'optimisation de son personnel.
Seule bonne nouvelle, un scanner serait installé. On aurait
aimé que soient, comme à Sedan, développées des consultations de
spécialités. enfin, pas tout à fait comme à Sedan, où cela est
prévu à moyens constants et où cela risque donc de ne jamais
arriver, mais avec des moyens nouveaux !
Le
GCS (ex polyclinique) est aussi l'objet de
suppression d'emplois.
Filière
par filière, je ne reviendrai pas sur la maternité,
sauvée au moins provisoirement, ni sur la pédiatrie.
La
création de lits de SSR est une bonne chose. Mais
elle témoigne aussi des incohérences de gestion à la petite
semaine : des lits ont été bradés à Clinéa lors de la mise en
place du Groupement de Coopération sanitaire et du transfert
des activités de la polyclinique sur le site de Manchester. Et
l'augmentation du nombre de lits à Nouzonville, à moyens
constants est inquiétante. Il ne peut s'agir de lits de
médecine dégradés et il faudrait des kinés, des orthophonistes,
des animateurs ..., de l'humain quoi, pour que ce ne soit pas
des "mouroirs"
Les
spécialités médicales ne méritent qu'un commentaire
d'attente : entre activités nouvelles à moyens constants et
celles nécessitant des recrutements de médecins, hypothétiques
(cf ci-dessus), il est à craindre que les projets ne soient là
que pour faire passer d'autres pilules.
La
chirurgie est l'objet d'une grande réorganisation,
avec perte de proximité, mais aussi diminution globale du
nombre de lits publics/privés sur le site de Manchester, avec
des suppressions d'emploi à Sedan (33), au GCS (19), pour
seulement 9,5 créations à Manchester, cela sans compter la
suppression paradoxale d'emplois en chirurgie ambulatoire à
Manchester, celles en salle de réveil et celles, non encore
chiffrées au bloc opératoire de Charleville-Mézières. Le GHT
a-t-il vraiment l'intention de recruter de nouveaux
chirurgiens ?
La
suppression de lits de soins critiques met gravement en
danger la population ardennaise, et tout
particulièrement celle de l'est du département. Globalement le
nombre de lits va baisser de 9, dont 7 sur l'hôpital de Sedan
! Avec des conséquences pouvant être très lourdes de patients
non pris en charge dans un service de surveillance continue,
faute de place, ou pris en charge avec retard.
Les gestionnaires rêvent d'un hôpital réglé comme un métronome,
avec des taux d'occupation toujours près de 100%. Mais ce n'est
pas la vraie vie, avec les périodes par exemple où se multiplient
des infections bronchiques, source de décompensation cardiaque
chez certaines personnes âgées.
Pour conclure, ce plan de performance est
totalement à revoir. Il a deux énormes défauts : son but
essentiel est de faire des économies, alors qu'il est urgent de redonner des moyens de
fonctionnement à l'hôpital public en augmentant notablement
l'enveloppe des dépenses hospitalières prévue dans la loi
de financement de la sécurité sociale. Par ailleurs les seuls
soignants ayant eu voix au chapitre sont les présidents de CME,
éventuellement les chefs de pôle, caractérisés par leur goût du
pouvoir et leur soumission aux desiderata administratifs.
Curieusement ce ne sont que des hommes : un peu de parité ferait
sans doute le plus grand bien ! En finir avec l'organisation
hiérarchique par pôle et donner du pouvoir
d'intervention sur leur travail tant aux personnels médicaux que
paramédicaux est la seconde urgence.