Il ne faudrait pas grand chose pour que le gouvernement ne doive se remettre au travail sur la réforme des retraites en écoutant les Français : cette réforme qui correspond à un vrai recul de civilisation est passée de justesse à l'Assemblée Nationale et a été refusée par le Sénat. Les députés doivent à nouveau se prononcer le 19 novembre.
J'ai écrit à Christophe Léonard. Et je ne suis pas seule à lui avoir écrit. Des personnes aussi diverses que Joëlle Barat, vice présidente PS de la région Champagne Ardenne, Françoise Carrette, porte parole du PG08, Sylvain Dalla Rosa, secrétaire départemental du PCF, Régine Henry, conseillère municipale de Sedan (PCF), André Libron, maire adjoint PCF de Charleville Mézières, Claudette Moraine, responsable départementale de Convergences et Alternatives (une des composantes du Front de Gauche), Jean Charles Van Bervesselès, ancien conseiller municipal de Charleville Mézières, René Visse, ancien député. conseiller général et régional. Voici le texte de mon courrier :
Monsieur le Député,
Le 15 octobre, vous avez été parmi les 47 députés de gauche à vous abstenir lors du vote sur la réforme du système de retraites. Et on ne peut que vous en féliciter. Grâce à votre vote, et à celui de vos collègues du Front de Gauche qui ont voté contre, la réforme n’a pas obtenu la majorité absolue à la Chambre.
Depuis, le Sénat s’est majoritairement opposé cette réforme. Lorsqu’elle reviendra à l’Assemblée, vous aurez donc le pouvoir de la mettre en échec pour de bon. C’est dire si votre vote sera d’importance. Votre abstention signifie un désaccord avec cette réforme. Inutile donc de vous dire à quel point cette réforme constituera une régression sociale. Juste quelques rappels :
Si cette réforme devait être votée, elle entérinerait du coup la réforme Fillon qui mettait fin à la retraite à 60 ans. Or, si Nicolas Sarkozy a décidé de faire voter cette réforme coûte que coûte malgré une mobilisation populaire inédite, cela a contribué à sa défaite et donc à l’élection de François Hollande et de nombre de députés de gauche. Voter cette loi, c’est donc en quelque sorte donner une victoire à posteriori à Nicolas Sarkozy et infliger une nouvelle défaite à la majorité qui s’est exprimée le 6 mai 2012.
Si cette réforme devait être votée, elle serait une première dans l'histoire sociale du pays. Pour la première fois depuis 1945, une majorité de gauche ferait reculer l'âge effectif de départ à la retraite. Une triste première, qui serait aussi un contre-sens de l'histoire humaine et sociale.
S’il fallait se convaincre que l’allongement de la durée de cotisation vaut en effet recul effectif de l’âge de départ à la retraite, il suffit de se reporter aux écrits de François Hollande lui-même. Dans le document qui retrace la «stratégie de politique économique de la France» envoyé le 1er octobre à Bruxelles, le président de la République reconnaît en effet que l'âge de départ à la retraite va faire un bond suite à l'allongement à 43 annuités de la durée de cotisation en 2035 : «A terme, un assuré qui débute sa carrière à 23 ans (c'est la moyenne en France) ne pourra partir à la retraite au taux plein qu'à partir de 66 ans. Ainsi, l'âge légal de départ est maintenu à 62 ans, mais l'âge effectif de départ à la retraite, qui constitue le critère déterminant au regard de la soutenabilité des finances publiques, devrait augmenter mécaniquement» écrit-il. Il est vrai qu’il convient de rassurer la Commission européenne qui avait fait de ce recul une des conditions pour assouplir pendant deux ans la règle d’or budgétaire. Chacun est désormais prévenu de l‘objectif réel de cette réforme.
Enfin, si cette réforme devait être votée, votre majorité gouvernementale aura, comme celle qui a permis les réformes Balladur puis Fillon, contribué à augmenter le chômage, à aggraver les conditions de vie et de santé des travailleurs, à baisser le pouvoir d’achat des retraités, sans assurer la sauvegarde de notre système puisque refusant de toucher au coût du capital et à la politique d’austérité largement à l’origine des déficits des comptes sociaux. Malgré les affirmations gouvernementales, cette réforme contribuerait à pénaliser plus lourdement les femmes, alors que les inégalités de pension entre les sexes sont déjà très importantes. En effet, tout allongement de la durée de cotisation a des effets disproportionnés sur les femmes et entraîne une baisse plus forte du montant de leur pension, comme le reconnaît la Commission européenne elle-même dans un rapport récent sur les inégalités de pension entre les sexes.
Sur le volet pénibilité, les avancées sont très laborieuses ! On est encore très loin du progrès et de la justice sociale : des travailleurs usés, cassés après vingt-cinq ans de pénibilité, pourraient partir à soixante ans alors qu'il y a trois ans, soixante ans c’était l’âge légal de départ à la retraite. Et l'usine à gaz créée pourrait accoucher d'une souris, d'autant plus que le renvoi à de nombreux décrets autoriserait une évolution vers des conditions plus restrictives sans avoir à changer la loi.
Vous avez pu constater que le gouvernement reculait beaucoup depuis quelques mois. Il a reculé devant les « pigeons », devant le patronat de l'industrie automobile, devant le patronat de la sidérurgie, devant les lobbies agro-industriels en Bretagne, en bref, il a reculé beaucoup devant le Medef.
Il ne serait pas déshonorant, au contraire, de tenir compte désormais de ceux et celles qui lui ont permis d’être là. Rappelez vous l'importance des manifestations dans les Ardennes contre la réforme des retraites Fillon. Ce sont ces Ardennais qui vous ont élu et vous devez les écouter : ils défendent l'intérêt général bien plus sûrement que la politique libérale malheureusement toujours en cours.
C’est pourquoi, lors du second débat à l'Assemblée nationale, envoyez donc un signal fort en transformant votre abstention en vote contre, et alors cette réforme ne passera pas. Cela vous permettra non seulement d’être fidèle aux aspirations majoritaires de nos concitoyens en mai et juin 2012, mais aussi de produire un électrochoc qui ne pourra être qu’utile pour la gauche et l’engager, qui sait, sur d’autres chemins que celui qui conduit, si l’on ne fait rien, à des défaites à venir.