Je viens d'assister au congrès de l'association des régions de France et j'en sors déçue, déçue sur la forme, déçue sur le fond !
Sauf que cela permet d'enrichir, de préciser une réflexion alternative sur les réformes nécessaires.
Car, plus que de décentralisation n'avons nous pas besoin d'une explosion de la démocratie ?
Déçue sur la forme : succession de discours et de tables rondes pour promouvoir le fait régional, justifier les demandes de l'ARF de plus de décentralisation. Les interventions possibles de la salle ont du se compter sur les doigts de la main pour l'ensemble de cette journée et demi. Cela ne fait que confirmer mon sentiment : les décisions de l'ARF se prennent en catimini. Sans parler des invités aux tables rondes : politiquement, l'expression du président de la région Alsace était sans doute incontournable, mais la diversité à gauche s'est limitée, outre le PS, à un député Europe Ecologie, un parti dont on sait qu'il a fait le choix de casser les départements (sans doute, faute d'élus dans les conseils généraux) et côté syndical, heureusement qu'il y avait une table ronde sur la formation pour laquelle la secrétaire générale de la FSU avait été invitée à s'exprimer, car sinon, les centrales syndicales critiquant la réforme des retraites, pour prendre un critère d'actualité, avaient été écartées de l'expression publique ! Ce n'était pas le cas du patron du MEDEF, évidemment appelé à s'exprimer et salué à plusieurs reprises dans les discours inauguraux.
J'ai été d'autant plus déçue sur la forme que le seul autre congrès de l'ARF auquel j'avais participé facilitait plus l'expression de la "salle".
J'ai en fait été moins déçue sur le fond puisque je connais les discours de décentralisation à tout vent du président de l'ARF, A Rousset, président de la région Aquitaine, dont j'ai toujours l'impression que son but est avant tout le pouvoir et qui s'évite de réfléchir aux conséquences, dans la droite file des politiques ultralibérales, de réduction des dépenses publiques, Ah, certes, il revendique plus de moyens financiers pour les régions, mais ce n'est que la fin du discours, après avoir revendiqué des pouvoirs nouveaux.
C'est l'occasion de donner des éléments de réflexion alternative : cela repose sur quelques principes forts, qui ne s'opposent pas à un approfondissement de la décentralisation, mais pas n'importe laquelle ! Permettez moi de les illustrer à propos de la revendication, à mon avis nocive, de l'ARF de décentralisation des politiques de l'emploi. Je parle là bien uniquement des politiques d'emploi, (Pôle Emploi, missions locales ...) pas des politiques nécessaires pour la création d'emplois, de réindustrialisation, de développement de services publics nouveaux, de transformation écologique ...
- premier principe : rapprocher les lieux de décision du citoyen favorise la démocratie. Il est évidemment plus simple pour les femmes et les hommes de peser sur une décision quand elles, ils, connaissent celle ou celui qui la prend. Et c'est pour cela que si évidemment, tout ne peut pas se régler au niveau de la commune, l'existence de celle ci reste indispensable, de même que le rôle du département est essentiel. Regardons la réalité tout simplement par la géographie ardennaise : il reste possible pour un Givetois ou un Vouzinois d'aller participer à une réunion au chef lieu après le travail. Cela devient presque du ressort de l'impossible s'il s'agit d'aller à Chalons en Champagne, qui n'est pas tout à fait un lieu de décision de proximité, mais où il est quand même beaucoup plus facile d'organiser des concertations, d'avoir des retours sur les décisions prises que si c'était Paris. Et le retour sur les décisions prises, l'évaluation, non pas administrative, mais par l'appréciation des personnes concernées est un gage d'efficacité des politiques publiques, l'assurance de ne pas être dans la communication sans lendemain.
Et pour prendre l'exemple des politiques de l'emploi la critique de l'empilement des différents dispositifs faite par le rapport de Monique Iborra (voir à ce sujet mon blog en cliquant ici), et reprise par l'ARF, ne tient pas compte du fait que les privés d'emploi vont avant tout voir leur maire, leur centre d'action communal et le maire est souvent aussi très au fait de l'évolution des offres d'emploi dans sa commune et à proximité. Les conseils généraux ont aussi volonté de s'impliquer dans ces politiques pour aider à l'insertion professionnelle des bénéficiaires du RSA par exemple. Se passer de l'implication des ces échelons territoriaux, ce serait se priver de compétences par connaissance du terrain, essentielles à l'efficacité des politiques.
- second principe : donner les mêmes droits à tous les citoyens : c'est essentiel dans l'Education Nationale, et vous savez, lecteurs de ce blog, combien je défends le fait d'une école ouvrant à tous les mêmes possibilités, une école pour ceux qui n'ont que l'école pour apprendre avec de grandes ambitions pour tous, pas une école au rabais dans les zones en difficultés. Mais c'est aussi essentiel dans les politiques de l'emploi, ne serait ce que pour des questions techniques : serait il acceptable qu'il soit plus facile pour un habitant de Signy le Petit d'accéder à la connaissance d'une offre d'emploi à Langres à l'autre bout de notre grande région qu'à Hirson, à quelques km de chez lui, mais en Picardie ? Et l'expérience de la formation professionnelle des privés d'emploi montre bien comment il est plus simple d'instaurer de telles frontières (avec l'excuse de "l'informatique") que de les lever. Mais il ne serait pas normal que l'accompagnement des chômeurs ne soit pas le même à Revin ou à Nantes : c'est sans doute déjà le cas. N'en rajoutons pas par des règles locales !
- troisième principe : prendre l'argent où il est ! La suppression de la taxe professionnelle plutôt que sa réforme par le gouvernement précédent, en cédant au grand patronat (rappelons qu'en plus ce sont sans doute les plus petites entreprises, les artisans, les commerces de proximité qui ont le plus perdu dans la réforme) a privé des régions de ressources propres. M'étendre sur la réforme fiscale nécessaire rendrait cet article déjà trop long illisible, mais juste un exemple de possibilités : le versement transport, payé d'ailleurs par les entreprises d'Ile de France !
Et, en ce qui concerne les politiques d'emploi et de formation, aucune réforme ne doit conduire à exonérer les entreprises de leurs responsabilité dans le chômage, évidemment par l'indemnisation des privés d'emploi, mais aussi dans le financement du grand service public de l'emploi que doit devenir Pôle Emploi, du financement de formations pour les privés d'emploi (sans que cela ne soit au détriment de l'indispensable formation des salariés).
- Quatrième principe : assurer des péréquations financières : être dans une nation, cela veut évidemment dire partager les succès et les difficultés ! Pour rester dans le domaine de l'emploi, il est évident que Pôle Emploi a plus de dépenses à Revin pour simplement financer des frais de déplacement des privés d'emploi se rendant à un entretien d'embauche que dans une grande ville à faible taux de chômage (ou tout du moins plus faible qu'à Revin) où les demandeurs d'emploi peuvent déjà espérer trouver dans la ville ! Il y a donc nécessité de mécanismes de peréquations.
Aurai-je donné des principes contradictoires ? Je ne le pense pas. Car l'on peut imaginer un grand service public national de l'emploi, où évidemment les organisations syndicales et patronales joueraient leur rôle, puisque les cotisations chômage sont une des principales sources de financement, mais où élus à tous niveaux pourraient apporter leurs propositions, leurs critiques. La fusion probable des CCREFP (comité de coordination régionale de l'emploi et de la formation professionnelle) et des CRE (conseil régional de l'emploi) qui n'a jamais trouvé sa place sera sans doute un pas dans la bonne direction, en permettant aux CCREFP de donner leur avis sur ce que fait Pôle Emploi dans les régions, mais il faut certainement aller beaucoup plus loin, tout d'abord en faisant en sorte que les conseils généraux soient représentés dans les CCREFP, sans doute la meilleure manière de faire le lien entre insertion des bénéficiaires du RSA, formation et emploi mais aussi en créant de vraies structures locales (départementales et au niveau des bassins d'emploi) où les élus locaux puissent échanger avec Pôle Emploi, râler contre les radiations par exemple (j'ai eu plusieurs exemples assez scandaleux dans le genre ces derniers jours pour les Ardennes), mais aussi contribuer à l'amélioration de l'accompagnement par leur lien avec les missions locales, les chantiers d'insertion ..., exprimer les besoins de formation en relation avec les emplois locaux, où les représentants syndicaux puissent s'exprimer (Ah, si les salariés avaient plus de droit de gestion dans les entreprises, il y aurait beaucoup de choses simplifiées sur la gestion prévisionnelle des emplois !). Bref, il faut trouver la manière d'avoir un véritable contrôle citoyen de Pôle Emploi, plutôt que de, comme le proposent certaines régions, vouloir faire sans Pôle Emploi, en réinventant son truc local.
Au delà des particularités liées aux questions d'emploi, il faut sans doute retenir la nécessité de lieux de coordination entre tous ceux qui sont intéressés par un sujet, le tout encadré par des lois obligeant à cette coordination et à ces progrès démocratiques et fixant des cadres sur qui décide en cas de désaccord.
L'exemple des contrats de plan de développement des formations professionnelles est instructif : la loi a obligé à faire et dans un contexte d'opposition politique entre le gouvernement et les régions, des contrats ont bien été passés. Certes ils n'ont pas tout réglé, il n'y avait pas de volet financier (c'est quand même le nerf de la guerre !) mais ils ont au moins permis des échanges d'information évitant des superpositions de politiques contradictoires ou superflues. Car j'ai bien entendu certains présidents de région dire qu'ils n'avaient pas besoin que la loi se mêle de leurs relations avec leurs conseils généraux ... sauf que c'est plus simple pour un A. Rousset en Aquitaine où tous les conseils généraux sont à direction socialiste que dans d'autres régions.
Et il faut sans doute aussi retenir l'exigence d'une beaucoup plus grande démocratie : Plus que de décentralisation nous avons besoin d'une explosion de la démocratie.
En tout cas, il serait catastrophique que le débat (il semble que le gouvernement repousse de plus en plus les dates où la suite des textes de lois de réforme territoriales seront discutés : on parle d'après les municipales) se solde par une déconcentration des pouvoirs de l'état avec ordre aux conseils régionaux de décliner les politiques décidées à Paris, sans en avoir les moyens, sans un pouce de plus de démocratie, bref par l'application des politiques ultralibérales voulues par l'actuelle commission européenne à la solde des marchés financiers, de réduction des services publics de proximité. Et quand j'entends, comme je l'ai entendu, la ministre M. Lebranchu parler d'état stratège, j'hésite entre une version de communication soft d'un état ne s'occupant que des compétences régaliennes (armée, police, justice) ou d'un état donnant des ordres aux collectivités, sans en donner les moyens, mais en tout état de cause, cela me semble rester dans la droite ligne des politiques ultralibérales régressives !