Mon titre, comme tout titre est réducteur : la
loi du 5 mars 2014 laisse à l'état la compétence de l'orientation
des jeunes dans le second degré et à l'université, les régions
ayant compétence vis à vis des autres publics.
Revenons déjà sur l'orientation scolaire :
Rappelons déjà que l'école est un lieu de
contradiction entre l'adaptation des jeunes aux exigences d'un
patronat avide d'exécutants, capables de taches de plus en plus
complexes, mais restant des exécutants soumis et l'exigence d'une
éducation préparant à une société démocratique du XXIème siècle
faite d'hommes et de femmes qui réfléchissent sur leur travail et
le transforment pour mieux répondre aux besoins de la société.
C'est pourtant bien l'accès de tous à une éducation de haut niveau
qui est nécessaire pour la société de demain.
Entre le bac professionnel, pour ceux qui ont été éliminés dans la
course à l'élitisme, si spécialisé qu'il mène souvent au chômage,
et l'enseignement général pour ceux qui sont, provisoirement,
encore dans la course, pas de place pour la découverte de savoirs
techniques et professionnels revisités, réinterprétés dans
leur apport à la culture commune et pour donner à réfléchir.
C'est dans ce cadre contraint que se situe l'orientation scolaire,
d'autant plus décriée qu'elle est trop souvent, pour les élèves et
leurs familles, confondues avec l'affectation, pas forcément
choisie !
Les personnels des services d'orientation de l'Education
Nationale, les « copsys », ont gagné une bataille avec
la loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle et
l'orientation qui « sacralise » la compétence de l'Etat
en ce qui concerne l'orientation dans le second degré et à
l'université, confiant aux conseils régionaux la coordination des
services d'orientation s'adressant aux autres publics. Ils ont
gagné une bataille, pas la guerre, la menace la plus immédiate
étant la mort lente par manque de moyens avec en particulier des
fermeture de CIO. En disant cela, je pense tout particulièrement à
Revin ! Mais au moins le caractère national, condition de
l'égalité de tous, le caractère spécifique de l'orientation au
cours de la formation initiale, l'orientation de jeunes en
construction, une orientation qui doit avant tout être un
apprentissage à l'orientation, une éducation au choix, ont été
reconnus. Le répit accordé doit permettre d'enrichir le travail de
lutte contre la reproduction sociale, les stéréotypes sociaux ou
de genre et pour ouvrir à tous les jeunes le champ des possibles.
Ce répit doit permettre un travail serein avec les autres services
d'orientation, ceux des jeunes sortis du système scolaire, ceux
des adultes, en lien avec les territoires, plus à même de faire
connaître les métiers, non pas sur catalogue mais dans des
rencontres humaines, plus portés à la réflexion sur l'anticipation
des besoins nouveaux liés aux développement de la société. A
condition évidemment que la coopération avec les autres services
d'orientation se fasse dans le respect strict des prérogatives de
chacun, que l'utilisation faite des outils, des rencontres ainsi
permises soit un moment éducatif, pas un trou dans l'emploi du
temps que l'on remplirait ainsi !
On pourrait rêver d'un vrai service public national de l'emploi,
de l'orientation, pas d'un Pôle Emploi rabougri en lien avec un
service public de la formation professionnelle, national, avec des
déclinaisons régionales.
Ce qui a été fait en Champagne Ardenne sous mon impulsion
Je vous reprends simplement ce que j'ai présenté à la ministre du
travail, de l'emploi et de la formation professionnelle le 2
novembre (pour retrouver mon appréciation plus globale de cette
rencontre, cliquez
ici). La seule raison qui m'avait convaincue de participer à
cette mascarade était la promotion de ce bilan !
La
Champagne-Ardenne n'a pas attendu la loi du 5 mars 2014 pour
s'emparer de la question de l'orientation. Déjà, dans une
saisine de 2004, le CESR (le conseil économique et social
régional) avait soulevé l'importance de cette
problématique et évoquait la nécessité d'un service public de
l'orientation, tout en recensant les besoins.
Répondre à ces
besoins a incité le conseil régional à mettre en place
progressivement, dans les différents territoires de la région
des Espaces métiers : à charge pour eux de coordonner les
différentes initiatives d'information sur les métiers et les
formations et de donner un premier conseil. Depuis, les
Espaces Métiers ont acquis d'autres compétences, information
conseil sur la VAE(validation des acquis de l'expérience), sur
la création d'entreprises, conseil en évolution
professionnelle, j'y reviendrais et tout récemment lieu
d'accompagnement à la formation à distance.
D'emblée, ces Espaces
Métiers s'étaient installés en lien étroit avec tous les
partenaires réunis aujourd'hui dans le CREFOP (comité régional
pour l'emploi, la formation et l'orientation professionnelle,
avec en particulier une commission dédiée au sein de l'ARIFOR,
notre CARIF (Centre d'Animation, de Recherche
et d'Information sur la Formation), historiquement
construit avec la participation outre de l'Etat et du Conseil
Régional, des organisations patronales et syndicales, mais les
Espace Métiers se sont aussi installés en lien étroit avec les
territoires dans lesquels ils sont implantés et les différents
organismes s'occupant d'orientation : pas question de
faire à la place de mais il s'agissait bien d'ajouter un
service supplémentaire pour les populations, un service
gratuit.
Les bases étaient
construites pour nous permettre de faire en sorte que la loi
de novembre 2009 ne se traduise pas par une recherche de label
en ordre dispersé des différentes structures d'orientation,
par leur mise en concurrence, mais bien par un
approfondissement du travail en commun déjà existant et par la
constitution de groupements territoriaux avec une charte de
l'orientation en Champagne-Ardenne signée en 2012 autour des
différents réseaux : Pôle Emploi, les missions locales,
le réseau information-jeunesse, les CIO et les Espaces
Métiers. Le respect des prérogatives de chacun, de leur
spécificité, en particulier, celle de l'Education Nationale
qui s'adresse à des jeunes en construction de leur
personnalité avec un service d'orientation trop souvent
décriée par une confusion entre orientation et affectation, la
volonté de coordonner sur le territoire de la région, pas d'en
faire le truc du conseil régional, la consultation régulière
de tous les partenaires avaient été les gages du succès.
Et c'est tout
naturellement que nous avons signé à la foire de Chalons en
septembre dernier la deuxième charte de l'orientation en
Champagne-Ardenne avec les signataires de la précédente
charte, l'Etat sous ses deux formes, préfet et autorités
académiques, le conseil régional, le président de
l'association régionale des missions locales, Pôle Emploi, le
CRIJ, mais aussi les acteurs désignés par la loi du 5 mars
2014 du service public régional de l'orientation, les chambres
consulaires, auxquelles ont été associée la CRESCA, l'AGEFIPH
et le réseau des CAP Emploi, l'APEC. Les organisations
patronales et syndicales membres du bureau du CREFOP étaient
parmi les signataires : cette charte n'a de sens que si
elle correspond aux besoins exprimés par ces partenaires.
Enfin, les OPACIF effecteurs du CEP ont souhaité faire partie
des signataires et au total c'est 30 signatures qui ont été
apposées sur cette charte.
Si nous en sommes
arrivés à cela, c'est évidemment le fruit d'une concertation
permanente, et je remercie l'implication de la direction de la
formation et de l'orientation du conseil régional. Dès sa
création le CREFOP a été saisi des questions d'orientation
avec la création d'une commission spécifique qui a été
consultée sur cette charte dés l'élaboration des principes. Et
évidemment son bureau et la réunion plénière ont donné leur
avis.
L’ampleur du nombre
de signataires à s’être engagés s’explique par le périmètre de
la Charte régionale qui couvre 3 champs interdépendants pour
lesquels la Région a reçu compétence en matière de
coordination et de mise en œuvre :
- Première
branche : le SPRO (service public régional de
l'orientation) à proprement parler, appliquant les
modifications apportées par la loi de 2014 sur le premier
accueil avec un cahier des charges régional établi par la
Région : aux membres qui constituaient le noyau dur
dès le début se sont joints les Chambres consulaires, la
Chambre régionale de l’ESS et, fait original, l’ensemble des
OPACIF opérateurs du CEP qui estiment que le premier niveau du
CEP correspond au SPRO et souhaitent une approche concertée
avec les autres acteurs.
- Deuxième
branche : le Conseil en évolution professionnelle :
je l'ai dit tout à l'heure, la région avait expérimenté le
conseil en évolution professionnel dans les Espaces Métiers
avant la loi de 2014 et cela nous a amené à désigner les
Espaces Métiers comme opérateurs du CEP, non pas pour nous
substituer à qui que ce soit, mais pour boucher les trous,
notamment auprès des agents des fonctions publiques, notre
expérimentation nous ayant montrer les besoins en la matière.
Mais ils s'avèrent aussi répondre à d'autres besoins dans le
cadre de contractualisation avec des OPACIF, soit que l'OPACIF
n'est pas présent sur le territoire, soit dans le cadre
d’organisation commune de prestations offertes aux
salarié-e-s.
- Dernière
branche : la prise en charge des jeunes sortant-e-s du
système de formation initiale sans un diplôme national ou une
certification professionnelle (le décrochage scolaire) qui a
fait l’objet d’une convention d’application avec le Rectorat
pour organiser le transfert de compétences et sécuriser les
plateformes de suivi et d’appui aux décrocheurs (PSAD).
Je voudrais conclure
cet historique et cet état des lieux du service public de
l'orientation en Champagne-Ardenne par quelques idées
force :
tout d'abord son
importance : le besoin était déjà traduit dans la saisine
du CESR en 2004. La réforme de la formation professionnelle le
rend encore plus nécessaire : si nous ne voulons pas que
la mise en place du compte personnel de formation qui donne
plus de responsabilité au salarié lui même dans sa formation
ne se solde pas par un accroissement des inégalités dans
l'accès à la formation, qu'une fois de plus, la formation
aille aux plus formés, le conseil en évolution professionnelle
a une place essentielle : il doit donc être facilement
accessible.
Et ce sera mon second
point : le service public d'orientation doit être
accessible, c'est à dire gratuit, c'est dans la loi, c'est à
dire bienveillant vis à vis des personnes, c'est à dire
présent dans chacun des territoires de la région : nous
nous sommes fixés comme règle un bassin d'emploi Pôle Emploi,
un territoire d'orientation, mais avec y compris, si besoin
des lieux relais.
Troisièmement, la
coordination du service public de l'orientation, c'est pour la
région le développement de coopération, tant dans les
territoires qu'à l'échelon régional, le travail en commun en
se créant des outils, en aidant à la professionnalisation des
acteurs, mais toujours dans le respect de la spécificité de
chacun
J'avais terminé en disant à la ministre que d'avoir confier la
coordination de l'orientation aux régions sans aucun moyen pour
était un problème et en l'incitant à demander à sa collègue ministre
de l'Education Nationale de ne pas réduire les moyens de
l'orientation en milieu scolaire !
Je voulais rajouter, mais il me semble que je
n'ai pas eu le temps de le faire, que notre charte n'est pas
une charte de service public régional de l'orientation, mais une
charte du service public de l'orientation en Champagne Ardenne
pour bien signifier qu'il ne s'agit pas du truc du conseil
régional, mais de la coordination, sur le territoire de la région,
de ce qui s'y fait, y compris par les organisations nationales.
Pour terminer, je voudrais insister sur trois éléments :
- Le choix fait en Champagne Ardenne d'Espace Métiers, plutôt que
d'une cité des métiers, comme il en existe une à Mulhouse,
reposait sur la nécessité de répondre à la diversité des
territoires de la région et à la faible densité de population : il
ne serait pas envisageable que la future région n'intègre pas
cette diversité géographique. Lors de la réunion que nous avons
tenu sur la formation à Hagondange le 9 novembre, dans le cadre de
la campagne électorale, j'ai d'ailleurs eu l'agréable surprise de
voir des représentants syndicaux vanter ces Espaces métiers.
- Evidemment, l'orientation vers un métier ou une formation que
cherche une personne en recherche d'emploi n'est pas la même que
ce que cherche un collégien : il veut avant tout retrouver du
travail le plus rapidement possible. Mais ce n'est pas une raison
pour laisser la patronat s'occupait seul de cela, ni même des
organisations paritaires dans lesquelles il joue le rôle dangereux
de diviser les syndicats pour mieux régner : l'avenir de notre
pays nécessite d'autres métiers que les métiers dits en tension,
ceux qu'il ne veut pas faire l'effort de payer dignement. Et un de
mes regrets, c'est que viennent parler dans les Espaces Métiers
des métiers des "spécialistes", des gens qui sont payés pour cela
par différents organismes, en particulier des branches
professionnelles, des DRH, alors qu'il faudrait que ce soit des
salariés qui viennent parler de leur travail : cela pourrait
d'ailleurs être bien pour des salariés proches de la retraite qui
cherchent une transition. En tout cas, il faut que cela soit un
service public, condition pour qu'il n'y ait pas de parti pris.
Je l'ai dit à la ministre : la mise en place du compte personnel
de formation nécessite un développement actif du conseil en
évolution professionnelle, sa promotion, si on ne veut pas qu'une
fois de plus la formation ne serve qu'à ceux qui ont l'habitude de
se former et laisse de côté les salariés les moins qualifiés, les
femmes. L'individualisation, c'est bien à condition que ce ne soit
pas un facteur d'inégalité. Là il y a un risque majeur si on n'y
prend pas garde : d'où la nécessité de moyens et de faire du
conseil en évolution professionnelle dans un cadre de service
public.